20 mars 2016

Le GAn dans la mission Chammal (2015-2016) : de mauvais indicateurs opérationnels ?

Nous donnions notre avis sur l'intérêt de l'engagement du Groupe Aéronaval (GAn) au sein de la mission Chammal pour les années 2015 et 2016. Nous tentions alors de calculer les capacités consommées par le porte-avions et le GAé (Groupe Aérien embarqué). Seul un terrien s'est presque offusqué de l'évaluation chiffrée proposée par nous au titre qu'elle était particulièrement dure, et injuste en raison de la diplomatie aéronavale annexe non-présentée. Pourtant, la communication opérationnelle, proposée aux journalistes depuis le porte-avions à quai à Toulon ou s'étalant sur les comptes de l'état-major des Armées sur les réseaux sociaux, nous semble en décalage, voire paradoxale, entre les moyens mis en œuvre, les objectifs militaires affichés, la justification de l'existence des outils et les passions de l'opinion.

Le porte-avions Charles de Gaulle est conçu pour soutenir 100 sorties aériennes par tranche de 24h sur une période de 7 jours avant qu'il ne soit nécessaire de diminuer la cadence des salves afin de faire durer le potentiel ou de le régénérer complètement.

Ces calculs étaient obtenus à partir des publications du Ministère de la Défense, disponibles sur le site internet. Pendant la mission :
  • Chammal 1 : la cadence était de 10 à 15 sorties ;
  • Chammal 2.1 : environ 9 sorties par jour ;
  • Chammal 2.2 : environ 6 sorties aériennes par jour. 
Nous avons le "bilan" chiffré étalé sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook) par l'EMA et la Marine nationale. Il est bien moins reluisant que celui-ci ci-dessus :
  • 125 jours de mer ;
  • 532 missions aériennes pour 102 frappes ; 
  • soit 4,2 missions aériennes par jour ;
  • une frappe pour les 5 jours.

Il ne s'agit absolument pas d'une discussion byzantine dans la mesure où, sur les réseaux sociaux, plusieurs citoyens se sont aperçus de la faiblesse de l'activité aérienne du GAn ainsi chiffrée. Expliquez qu'un groupe aéronaval à 9 milliards d'euros se présente devant les côtes syriennes et irakiennes pour entretenir une activité aérienne de l'ordre d'un peu plus de 4 missions aériennes par journée. La conséquence logique amène forcément à critiquer l'existence de l'outil ou sa présence dispensable alors qu'un desserrement à terre des Super Etendard Modernisés aurait amplement suffit. 

Le ou les indicateurs permettant de donner une perception simple de l'activité aérienne militaire française sont très peu précis et homogènes. Ils ne permettent pas de comparer l'activité aéronavale à celle aéroterrestre de l'Armée de l'air dans la mesure où la première (cf. illustration) mène des "missions aériennes" quand la deuxième (cf. compte Twitter de l'EMA) assure des "vols". Une mission aérienne est-elle égale à un vol ? Sur Facebook, 10 mars 2015, le terme de "sortie aérienne" était également usitée. La confusion la plus totale apparaît quand nous nous demandons si ou plusieurs de ces expressions désignent l'action solitaire d'un ensemble formé par son équipage et son aéronef ou bien l'action de comptabiliser une "mission" comprenant un ou plusieurs aéronefs ? 

Aussi, même si ce n'est qu'un autre de ces "détails", il est manifeste que la campagne aérienne française se réduit à des "frappes" ou plus généralement à l'action de bombardement. Pourquoi pas ? C'est toute la faiblesse de la communication des Armées, en particulier de la Marine nationale, car elle n'a pas modéré la passion populaire pour un GAn apparaissant comme configuré "comme en temps de guerre" avec une escorte riche et nombreuse, un GAé plus nombreux qu'à l'accoutumée, tandis que l'intensité des frappes était extrêmement modeste, comparativement à l'intervention Russe en Syrie.

Mais la campagne aérienne se mesure-t-elle à la seule action de bombardement ? Aucune mission de reconnaissance, par exemple ? Quid de la diplomatie aérienne du GAn ? Il y aurait eu bien des aéronefs de catapultés pour participer à des exercices avec les alliés militaires de la France, des Etats-Unis jusqu'à l'Egypte. L'hypothèse, simple mais efficace, est que la communication n'en tient aucun compte au point de présenter un bilan extrêmement modeste après le retour au port du porte-avions à Toulon. 

Et c'est bien dommage car un GAn avec un GAé aussi nombreux, une escorte offrant autant d'options tactiques, ne peut qu'influencer la situation tactico-opérative dans son sillage par ses capacités à maîtriser ce qui se passe sous la surface, à la surface et au-dessus de la surface dans deux zones (MEDOR et Golfe Persique) où les vols de reconnaissance, les croisières de sous-marins étaient très nombreux autant à destination du conflit que du dispositif drainé par le Charles de Gaulle.

C'est en ce sens que cette communication est extrêmement critiquable et doit être critiquée car elle s'oriente sur un paradigme de recherche et destruction des "terroristes" avec des résultats non-significatifs, ce que met en exergue l'intervention russe (et paradoxalement, notre communication). Le décalage est parfaitement perceptible par le grand public. Nous sommes sorti du paradigme clausewitzien qui n'est pas de "détruire" l'adversaire mais de vaincre sa volonté. Et nous ne pouvons plus vaincre l'adversaire puisque Paris ne compte pas ou plus dans la résolution de la crise syrienne. 

Enfin, la construction ou non d'un deuxième porte-avions (PA2), suivi probablement par le successeur du Charles de Gaulle (PA3), ne manquera pas d'être posée lors de la prochaine loi de programmation militaire. La valeur opérationnelle du navire, agrégeant diverses capacités pour en produire une valeur ajoutée supérieure à la somme de ses membres, est totalement absente de la mission Chammal. Faut-il rappeler que si la construction des Clemenceau et Foch reçurent un soutien suffisant dans l'opinion nationale, c'était, notamment, en raison d'une bonne communication sur l'apport des porte-avions français en Indochine ? Comparativement, le cuirassé Richelieu menait une campagne de bombardement et d'appui-feu, faute de porte-avions disponibles en 1945. Pourtant, le gouvernement et le parlement soutenaient la construction des deux porte-avions modernes, et non pas une adaptation des cuirassés Richelieu et Jean Bart (5 milliards de francs pour un achèvement après guerre pour quelques coups de 380 tirés en opérations) à l'ère des engins (missiles). La crise de Suez (octobre 1956 - mars 1957), postérieure à la commande du Clemenceau, n'était pas étrangère à l'accomplissement d'un programme à deux unités. N'oublions pas qu'un troisième pont plat était désiré jusqu'au début des années 1960, et considérée jusqu'à la fin des années 1970. 

Le porte-avions, comme pièce maîtresse d'un groupe aéronaval, n'est pas mis en valeur dans la communication. Sans le Charles de Gaulle, la Marine nationale mettrait toujours en oeuvre 6 des 9 milliards de matériels du GAn. Mais sans le porte-avions, les frégates, sous-marins et aéronefs n'auront pas cette capacité d'être le centre d'une coalition, de maîtriser les espaces sous-marins et aéromaritimes, d'être un acteur stratégique. En dehors de la France, bien d'autres marines entretiennent au large de la Syrie ou de l'Irak des frégates, sous-marins et aéronefs. Offrent-elles les mêmes outils au décideur ? Aurait-il les mêmes options pour influencer le cour des évènements ?

18 commentaires:

  1. La principale différence entre les campagnes aériennes russes et de la coalition est que les russes sont quasiment indépendants et ne requièrent pas le soutien de la coalition (AAR, AWACS...). Le nombre limité de ces moyens au sein de la coalition est le principal élément limitatif avec le système de ciblage. Le porte-avions était beaucoup moins limité en Libye où il ne faisait pas appel aux avions de ravitaillement. Par ailleurs il y a eu un effet COM pour l'appareillage du GAN lié aux attentats du 13 nov qui fut plus représentatif que n'aurait pu être un renforcement de quelques M2000 en Jordanie.

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  2. Est-ce une question technique (les moyens militaires) ou politique (la volonté d'intervenir asservie à des objectifs) ?

    L'effet com' n'était qu'un effet ne produisant rien, si bien que la volonté affichée, adoubée par l'opinion publique, ne servait même pas une décision en matière de politique étrangère. C'était... de la com'.

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    1. c'est une question technique ces moyens sont indispensables pour la majorité des missions ; quant à l'effet com' il a plusieurs objectifs : l'opinion française qui attend une réaction, nos alliés pour faire évoluer des positions attentistes avec la légitimité liée aux attentats et enfin l'EI pour éventuellement lui faire modifier son dispositif.

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    2. Il me semble que c'est une question politique et que nous n'avions pas la volonté de faire reculé l'EI au bénéfice d'Assad.

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    3. si nous avions des capacités supérieures comme une disponibilité à 70% des 12 avions ravitailleurs permettant d'en envoyer 3 ou 4 dans le golfe, de bonne conditions météorologiques hivernales en Syrie/Irak favorables aux missions d'appui en haute altitude vous pourriez avoir raison mais la volonté politique ne peut tout

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  3. Vous avez oublié un paramètre dans votre calcul de 4,2 missions aériennes par jours. Sur les 125 jours de déploiement, il faudrait retirer les temps de transit vers les zones d'opérations et pour le retour vers Toulon.
    A savoir, le transit Toulon/Large de la Syrie, puis le transit Large de la Syrie/Golfe Persique, les traversées du canal de Suez (Nord Sud pui Sud Nord) et le transit retour.
    Une fois que vous avez ces données, refaite votre calcul à partir du nombre effectif de jours de présences du PA sur les zones d'opérations aériennes.
    Après, je ne crois pas que le PA pourrait réaliser 100 sorties aériennes par 24h. Etant donné qu'une sortie aérienne est égal à un aéronef (avion ou hélico) et que ce dernier a droit à une visite post-vol à son retour, je ne vois pas comment cette cadence puisse être réalisée.

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  4. Non, je n'ai rien oublié et je vous invite à relire mon billet. Je ne suis là que pour critiquer la communication de l'EMA.

    Qui plus est, ce n'est pas en retirant 10 ou 15 jours de transit que les calculs vont être faussés. Et dans le premier billet sur ce sujet, les engagements du GAn dans Chammal 1 (2015) et Chammal 2.1 et 2.2 étaient bien identifiés.

    Enfin, les 100 sorties aériennes sont une donnée technique du porte-avions, ce n'est pas une invention de ma part et le lien renvoie bien au site du ministère de la Défense, cette donnée étant largement reprise par la Marine et le constructeur du navire.

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    1. 5 jours de transit entre Toulon et le large de la Syrie
      environ 20 jours entre le golfe persique et Toulon
      Entre 10 à 15 jours entre la Syrie et le Golfe
      Je rajoute deux jours pour les transit dans le canal de Suez
      Total : Entre 37 et 42 jours, auxquels il faudra rajouter les escales (entre 8 à 10 jours minima).
      Nous sommes loin de de votre estimation de 10 à 15 jours.
      Pour ma part sur les 125 jours, on peut retirer un bon tiers pour avoir une idée de la permanence du PA dans sa zone d'opération.
      On est plutôt sur une moyenne de 6,8 sorties par jours effectifs de présence dans la zone ops.

      Par contre, le fait que la Marine Nationale est pris le commandement effectif de la TF 50 US n'est pas souligné par l'EMA à sa juste valeur. L'US Navy qui a confié le commandement de ses PA présent sur zone à une Marine étrangère aurait du être mieux souligné par l'EMA et par l'exécutif (président et mindef). Sur ce coup, la marine nationale devance largment la Royal Navy.
      Cela prouve aussi le haut degré d'intégration existant entre les deux marines (FR et US)

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  5. 100 sorties d'une heure à comparer à 16 sorties de 6 heures. Les choses ont évolué et le porte-avions s'est adapté, ce qui constitue l'une de ses principales forces.

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    1. Encore une fois, non. La donnée technique ayant influencé la conception du porte-avions, c'est soutenir 100 sorties aériennes par jour (24h) pendant sept jours. La durée de la sortie aérienne ne compte pas. Il s'agit de ne pas confondre le volume de la salve, la portée de la salve et éventuellement ses effets.

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    2. Désolé Marquis mais vous êtes totalement à côté de la plaque. La donnée de base à considérer est le nombre d'heures d'activités aériennes que le porte-avions est capable de générer avec son GAé. Le nombre de sorties ne ressortit que des modalités. 100 sorties d'une heure, durée moyenne des vols d'assaut mer à l'époque ou le CDG a été défini, ou 16 sorties de 6 heures représentent le même volume d'activité et donc de potentiel aérien utilisé. C'est mécanique.

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    3. Ah bon ? Dans cette perspective, vous pourriez, peut-être, expliquez à MM. Castex, Daveluy, Darrieus, Henrotin, etc. qu'une plateforme navale ne se définit plus par les caractéristiques de ses armes (salve, portée, cadence, etc).

      M'est avis que si le porte-avions n'entretenait qu'une si faible cadence, ce n'est pas faute d'avoir les capacités de faire plus, mais faute d'opportunités et donc de volonté. Tout comme, je me permettrais de remarquer que le nombre d'heures de vol que vous désignez ne reposent pas sur les moyens du GAé mais sur des ravitailleurs basés à terre.

      Si bien, s'il nous fallait répéter la même performance opérationnelle avec les seuls moyens du porte-avions alors il faudrait consacrer une partie des moyens et de l'activité du GAé au ravitaillement en vol, ce qui ne manquerait pas de réduire la cadence et le volume de la salve, au bénéfice de la portée.

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  6. Comme je le pressentais, nous passons de 4,2 "missions aériennes" par jour de mer à 6,8. Par rapport à un porte-avions conçu pour supporter des pontées massives de 24 aéronefs catapultées toutes les 1h30 à la limite des 100 sorties aériennes journalières pendant 7 jour, c'est autour de 5% des capacités utilisées.

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    1. peut etre que la Marine a aussi cherché à garder du potentiel avant l'arrêt technique majeur numéro deux qui débutera en février 2017. En un an, nous ne sommes pas à l'abri d'un déploiement ops supplémentaire, ce qui explique aussi la faiblesse de cette moyenne pourle dernier déploiement.

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    2. 24 aéronefs toutes les 01h30, même en prenant en compte le GAé initial qui était prévu à la conception (entre 35 et 40 appareils), il faudra attendre le retour de la 1ère pontée, la reconfiguration d'une partie des avions pour recatapulter de nouveau 24 aéronefs (plein, briefing mission, armement, etc etc .......)
      A l'époque de la conception du PA, il était prévu deux PA. La cadence de 100 sorties n'a t'elle pas été calculée sur la base de 2 PA en opération ? Par la suite, il se peut que cette valeur a été conservé par défaut en oubliant l'absence du 2ième PA.

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    3. Je viens de consulter le site internet défense qui présente le PA et ses capacités. Ce n'est que de la communication, mal faite, qui ne fait que reprendre les caractéristiques du navire telles qu'elles étaient prévues et demandées lors de la conception. Depuis son admission au service actif, le plus gros GAé embarqué n'a pas atteint les 35 aéronefs (helico, rafale, super étendard et hawkeye). Sur ces 35 appareils, il faut retirer 2 hawkeye, entre 3 et 5 hélicos. Il reste alors 28 avions de combats, à partir duquel les sorties aériennes journalières vont devoir être faite.
      Lors du dernier déploiement, il y avait 26 avions de combat (18 RFL et 8 SEM), 2 hawkeye, 1 Puma, 2 Dauphin et 1 Allouette 3, soit un total de 34 aéronefs. Difficile d'atteindre les 100 sorties ops journalières, une telle cadence mettra à genou les personnels chargés de la mise en oeuvre et de la maintenance des avions et cela en moins d'une semaine.

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    4. Excellente question. Il semblerait également que les éléments de langage données par l'EMA donnent une mission aérienne égale plusieurs sorties aériennes pour cette mission. Ce qui expliquerait des nombres aussi faibles.

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    5. Monsieur,

      Dans un premier temps, il me semble qu'il ne faut pas confondre "aéronefs" et "avions de combat" : l'un désigne tout ce qui vole dans l'atmosphère quand le deuxième se réfère à une catégorie très précise d'aéronefs.

      Dans un deuxième temps, et je précise que la documentation est très riche à ce sujet (exemple : "Le problème du porte-avions" d'Hervé Coutau-Bégarie, disponible dans bien des bibliothèques ou en achat d'occasion), le porte-avions était conçu autour de l'emploi du F/A-18 Hornet, sans l'E-2 Hawkeye. Depuis les années 1980, et surtout 1992 et le non-achat des F/A-18, les choses ont profondément évolué.

      Aujourd'hui, le Charles de Gaulle est prévu pour employer un maximum de 35 aéronefs dont 24 Rafale, voire 30 Rafale en dotation maximum en prenant une partie de la dotation de la flottille en régénération.

      L'objectif d'assurer 100 sorties aériennes par jour pendant une semaine n'est pas de la "communication" mais bien une caractéristique du porte-avions qui a guidé sa conception et sa construction. Que vous n'y croyez pas, c'est une chose. Répéter la chose, ce n'est pas expliquer pourquoi. Et vous n'apportez pas la preuve de vos dires. Personnellement, je ne peux que me fier aux données et caractéristiques délivrées par le constructeur et les utilisateurs. Je ne vois pas le rapport à une deuxième unité quand il est question des caractéristiques d'un navire.

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