Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





26 décembre 2012

L'objectif du combat naval est-il la destruction du navire adverse ?



Animation Flash


Il va être tenté de répondre à cette question par un survol de l'histoire des combats navals. Tout survol est forcément incomplet et emprunte des raccourcis qui peuvent donner l'impression de la contradiction. Cet écueil n'est pas forcément erroné puisque pour répondre correctement à cette question, il faudrait réellement effectuer ce voyage et les prises de position ou les constatations ne manqueraient pas d'évoluer.

Néanmoins, et ces prudences prises, un retour en arrière dans l'histoire des combats navals peut amener tout à un chacun à être surpris par un constat simple : envoyer par le fond le navire adverse, c'est très compliqué. Pire, quand c'était à portée, cela n'était pas non plus une volonté assumée et achevée puisque la perte du navire, même adverse, signifie potentiellement la perte d'un éventuel gain stratégique (les trésors du navire) et de son équipage. Et même la perte de l'équipage adverse tout entier, ou celle de nos équipages, n'est pas un fait assumé. Pourquoi donc le « choc » a été préférée au « feu » pour en finir lors d'une bataille bien souvent, ou plutôt, pourquoi le feu est-il d'un usage si modéré en mer ? Les possibilités du feu ne sont pas entièrement exploitées. Ce qui en amène au sujet du jour : en quoi, après le schéma qui va être dessiné, les armes à énergies dirigées permettent de poursuivre la recherche de certains buts, dans une certaine continuité historique.

Depuis l'Antiquité jusqu'au début du XIXe siècle, les galères furent utilisées par bien des marines. L'historien Philippe Masson n'hésite pas à écrire que ce fut un "règne interminable". Dans l'un de ses ouvrages, "De la Mer et de sa Stratégie" (aux éditions Tallandier), il décrit la place des galères dans l'Histoire et les marines, pourquoi elles perdurèrent, pourquoi elles disparurent.

La galère est un navire fin, élancé, rapide et non-ponté. Elle est l'expression matérielle du milieu où elle est appelée à naviguer : les mers fermées ou étroites. C'est-à-dire des mers sans vents ni courants réguliers, et sans marées. Grâce à ses deux modes de propulsion, elle peut aussi bien se passer du vent qu'en profiter. Ce n'est pas un mince choix pour un navire qui servira dans des mers où il n'y a pas de vents dominants. Ces derniers déterminent plus ou moins bien les routes navigables dans l'Océan. Mais dans les mers étroites ou fermés où ces vents dominants sont absents, le navire le plus utile est celui qui est le moins soumis aux aléas d'Eole.

In fine, c'est l'idée de la manœuvre qui transparaît puisque, sans évolutions nautiques, il n'est pas possible de manœuvrer. La dualité de la propulsion (qui perdure de nos jours sous d'autres formes) permet ces évolutions, et donc, de manœuvrer. C'est l'avantage essentiel et millénaire de la galère. Cependant, cette manœuvre est très exigeante : à travers les descriptions qui vont être faites de l'évolution matérielle de ce navire, il va être possible d'apprécier la difficulté à manœuvrer ce navire, voir ces navires en formation de combat. C'était un art que la mise en œuvre des galères.

En contre-partie à ces avantages, il faut dire que la galère n'était pas le moyen le plus indiqué pour la navigation hauturière dans l'Océan. Il faudra attendre la Galéasse.

Les premières utilisations militaires des galères se basent sur l'attaque à l'éperon. Il s'agit alors essentiellement de trirèmes et de birèmes. La manœuvre est si exigeante que Philippe Masson dit bien que l'on ne peut s'étonner qu'à partir de l'époque hellénistique l'abordage prenne le pas sur l'éperonnage. Il faudra attendre l'arrivée de la poudre pour voir une autre forme de combat supplanter l'abordage.

Ce changement de tactique se transpose dans la construction des galères. L'abordage est ou non préparé par des tirs d'artilleries : balistes ou catapultes. Celle-ci, l'artillerie navale, sera presque toujours basée à l'avant des galères. Le besoin d'une artillerie plus lourde se transpose mécaniquement par des navires plus lourds. Cet accroissement du tonnage et de la taille permet une meilleure tenue à la mer, ce qui n'est pas pour déplaire à l'artillerie, et permet la possibilité d'embarquer une plus grande compagnie d'abordage.

Les romains perfectionnent la technique grâce au covus: une passerelle rabattable dotée de grappins. Le covuss'abattait sur les navires adverses. Dès lors, la manœuvre se cantonne de plus en plus à aborder l'adversaire de la meilleure manière pour développer un combat "terrestre" à son bord. Il ne s'agit plus de manoeuvre le navire dans l'optique de couler l'autre par lui-même.

Le meilleur compromis matériel est trouvé par les byzantins avec les dromons. Navire relativement léger et rapide, doté de 50 avirons de chaque bord répartis en deux rangées superposées. Il met aussi bien en œuvre un éperon que des armes de jet.

Le dromon se combine avec l'utilisation du feu, voire du Feu : c'est-à-dire le feu grégeois. Son invention est attribué à Callinicus et son apparition daterait de 670 après Jésus Christ. L'arme incendiaire se compose de salpêtre, d'huile de naphte, de souffre ainsi que du bitume. La particularité de ce mélange, c'est qu'il brûle, même au contact de l'eau... L'œuvre de Georges R. R. Martin, « Games of Thrones » a été portée à l'écran sous le contrôle de son auteur sous la forme d'une série télévisée. La fin de la deuxième saison s'achève notamment sur une bataille navale. Son objet est la capture de la capitale de l'union des royaumes par le prétendant légitime. Mais surtout, le défenseur de la capitale, lord Tyrion, utilise le feu grégeois à travers une galiote. La vidéo n'emprunte peut être pas toutes les rigueurs du travail de l'historien, mais elle peut donner un aperçu de ce qu'était le feu grégeois pour le combat naval...

Mise en oeuvre au combat

La galère est un navire offensif. La strucutre du navire impose certaines tactiques car tout l'armement du navire (éperon, catapultes, balistes et canons) demeurera presque toujours exclusivement à l'avant. De fait, une présentation classique au combat semblera toujours se diviser entre une préparation d'artillerie et l'abordage. A plusieurs reprises dans l'histoire navale, l'éperonnage aura été pensé, tenté et utilisé. Mais la manoeuvre est tellement exigeante, et dangereuse (venir à bout portant d'un feu qui finira par être capable de décimer un pont entier de marins) qu'elle aurait du couler assez vite dans les oubliettes de l'histoire.

Les galères ne peuvent se présenter qu'en ligne de front ou en formation triangulaire. L'exercice est exigeant pour tenir ces formations.

Le combat naval s'apparente trait pour trait au combat terrestre :
  • les flottes se structurent avec un centre et deux ailes. L'une d'elle est généralement appuyée à la côte.
  • Lors de l'abordage, il s'agit d'un combat au corps à corps.
Il faudra attendre la bataille de Lépante pour voir apparaîre une autre forme de combat où le canon deviendra l'arme principal pour couler les navires adverses.

En attendant celui-ci, la guerre navale ressemblera à une sorte de manœuvre générale où il s'agira d'aborder au mieux, de près ou de loin, les navires afin d'imiter la guerre terrestre. La capture du navire adverse deviendra même un des points cardinaux des habitudes de la guerre navale au temps des vaisseaux. Au temps des galères, il fallait aborder le navire adverse pour aller décimer son équipage, faute d'autres tactiques pour en venir à bout. Au temps des vaisseaux, la chose se déroulait parfois dans la même idée, non pas car il n'était pas possible de faire autrement, mais parce que, et contrairement aux galères, la construction d'un vaisseau était suffisamment longue et coûteuse en ressources pour considérer comme avantageux la prise du navire ennemi.
Au Moyen-Âge

La galère perdure jusqu'à cette époque. Aucun navire n'a encore pu la supplanter dans ces mers sans vents dominants. Il y a très peu d'innovation matérielle pour ce navire antique. C'est la propulsion qui se trouve améliorée avec l'adoption de la nage a zenzileau XIIIe siècle (trois rameurs décalés actionnent à partir du même banc trois avirons). A la fin de l'ère médiévale, c'est la nage scalaccioqui prend le relais : entre 5 et 7 hommes actionnent la même rame. C'est cette disposition qui perdurera jusqu'à la fin des galères : moins de rames, armées par plus d'hommes.

Le canon fait son apparition à bord des galères à partir du milieu du XVe siècle. Il sera une arme redoutable à leur bord, notamment à la bataille de Lépante (1571), mais il signera la mise à mort des galères quand il fut installé par rangées entières à bord des vaisseaux de ligne, percés de sabords.

Sur le plan militaire, la Galéasse apparaît au XVIe siècle selon Philippe Masson -"De la Mer et de sa Stratégie". Ce navire hybride est la dernière évolution d'un navire plus que millénaire : la galère. Cette tentative de conjuguer les avantages de la galère et des précurseurs du vaisseau fera merveille dans premier temps, en Méditerranée.

C'est une hybridation car il s'agit d'améliorer un navire qui se fait lentement mais surement déborder par les précurseurs du vaisseau. Sous de multiples formes, celui-ci commence à imposer sa domination navale aux autres utilisateurs de la mer. Les cogghe, puis les caraques, et enfin les galions (qui sont une évolution de la caraque) menacent définitivement le règne des galères. C'est l'artille navale portée par ces nouveaux venus qui menacent les galères : portée latéralement, elle accroit considérablement le nombre de bouches à feu à bord d'un navire -ce qui offrent accessoirement de nombreuses et nouvelles possibiltiés de manoeuvre et d'engagement.

Cette nouvelle disposition de l'artillerie n'apporte pas une puissance de feu théorique, mais bien réelle. Par exemple, à la bataille de Preveza (1538), le Galion de Venise résiste à l'attaque de plusieurs galères turques pendant une journée entière. Bien plus tard, en 1684, le vaisseau français Le Bon, un 50 canons, commandé par le compte de Relingue, brise pendant cinq heures l'assaut de 35 galères espagnoles. L'historien Philippe Masson ajoute dans son ouvrage qu'un vaisseau hollandais de 56 canons, La Licorne, sera capturé à l'abordage par six galères sous le commandement du français La Pailleterie, en Mer du Nord. Loin de réhabiliter la galère, cet engagement ne mettait en exergue que l'avantage de la rame quand il n'y avait pas de vent, et l'avantage historique d'équipages entraînés face à un équipage improvisé.

Dès le début du XVIe siècle, la galère ne peut qu'apparaître comme menacée. Elle est faite pour le combat singulier, et, définitivement, elle ne pourra plus jamais (sauf exceptions) venir à bout d'un adversaire conçu dans le Nord de l'Europe et portant une artillerie latérale.

Gênes et Venise, les deux grandes puissance navales de la Méditerranée, se doivent de réagir à cette remise en cause matérielle de leurs forces par les puissances maritimes montantes du Nord de l'Europe.

Pour parvenir à cette fin, il s'agit donc d'adapter aux galères ce qui permettra aux vaisseaux de les supplanter définitivement : l'artillerie navale fondée sur les canons. Depuis l'Antiquité, les galères embarquent de l'artillerie : catapultes, balistes, divers engins incendiaires et, enfin, des canons. Cette artille qui sert essentiellement, dans l'Histoire, à préparer les abordages, n'est installée qu'en chasse, c'est-à-dire à l'avant du navire. Dans cette partie se trouve de trois à cinq bouches à feu, dont la plus grande est généralement surnommée le coursier. Problème majeur, l'arrivée des différents navires nord-européens introduisent une artillerie latérale. Fatalement, à dimensions égales, le nombre de bouches à feu est bien plus importante à bord des navires du Nord plutôt qu'à bord des galères qui se trouvent très limitées dans l'emport de bouches à feu.

Loin d'abdiquer, la galéasse modernise considérablement son genre :
  • premièrement, la coque est arrondie à la poupe comme à la proue, à la manière des cogghe. Par ce biais une meilleure tenue à la mer est recherchée.
  • Deuxièmement, le navire est plus haut sur l'eau, ce qui s'accompagne d'un tirant d'eau augmenté.
  • Troisièmement, des châteaux sont érigés à l'avant et à l'arrière du navire, à la manière des carraques. Il En ce qui concerne le château arrière, la domination de l'adversaire par la hauteur est recherchée car la guerre sur mer est encore une guerre terrestre où s'affronte des forteresses flottantes. Et donc, l'avantage va aux archers et aux arbalétriers plus hauts sur l'eau que leurs adversaires. Mais surtout, le château avant sert essentiellement à porter une artillerie nombreuse, en plus de celle qui est généralement installée en chasse.
  • Quatrièmement : installation d'une artillerie navale dans les flancs du navire. C'est là le principal apport des navires du nord qui tranchent foncièrement de la galère par cette artillerie latérale.
Cependant, la Galéasse ne s'émancipe peut être pas suffisamment de la galère. Elle garde une propulsion à deux modes, ce qui semble indiqué pour les mers étroites et fermées sans vents ni courants dominants. Ce qui peut surprendre, surtout, c'est que le navire conserve un éperon. Le fait de porter cet arme n'était peut être pas une tradition très coûteuse. Mais cela relève une ambivalence dans l'utilisation militaire de la galéasse : ses concepteurs ne choisirent pas entre le choc et le feu.

Choix d'autant plus dommageable car la galéasse semble taillée pour le feu, justement. De facto, dès la mise à l'eau des galéasses, il y a un distingo à faire entre deux guerres navales :
  • la guerre navale héritée de l'Antiquité où un ensemble de plateformes navales manoeuvrent pour aller chercher le choc entre elles, et donc l'abordage. Souvent, la manoeuvre des galères, et d'autres navires, est semblable aux manoeuvres terrestres. En mer, il y eu également un centre encadré par deux ailes. Ce qui revient à dire que le combat entre navires ou entre équipages semble être une transposition de ce qui se fait à terre.
  • La guerre navale qui émerge grâce aux navires du Nord de l'Europe (caraque, galion, vaisseau) où le nombre de points de comparaison avec la guerre terrestre va tendre à disparaître au fil des siècles. L'abordage devient une méthode de combat tout à fait secondaire. C'est le feu qui domine, et l'on manoeuvre moins pour aborder le navire adverse afin d'aller en décimer l'équipage plutôt que pour immobiliser, voir pour le détruire. Sa destruction mettra quelques siècles à devenir un objectif préférable à sa capture.
A la bataille de Lépante (1571), c'est par l'utilisation du feu que la galéasse fera merveille. Il y aura à cette bataille la distinction entre le navire du feu, la galéasse, et celui du choc, de la mêlée, la galère.

En tout les cas, la création de la galéasse permet de renouveler intelligemment la galère en transposant les avancées de l'artillerie navale provantn des puissances navales montantes du Nord de l'Europe. La conservation des deux modes de propulsion de la galère permet aussi de conserver à cette hybridation, pendant un temps, des capacités manoeuvrières supérieures. Cependant, l'hybride ne prendra pas quand il s'aventurera dans des milieux qui ne sont pas les siens. Bien malheureux seront ceux qui feront quitter la galéasse de la Méditerranée pour l'emener affronter les caraques, galions et autres vaisseaux sur un terrain pour lequel ils ont été conçus. L'hybride n'était conçu que pour son milieu. En dehors, il était obsolète, et pire, il était moins bon que l'un (la galère) ou l'autre (caraque, galion) de ses parents. Dans l'Océan, la galéasse cumulait les défauts et perdait ses avantages.

Apogée au XVIIe siècle

L'apogée. Une galère ordinaire mesure 47 mètres de longueur, pour 6 de large et 2 à 3 mètres de tirant d'eau. Par rapport à la trirème antique, la croissance a été modérée (contrairement à l'époque de la vapeur). Le tonnage dépasse 250 tonnes (quand des séries entières de torpilleurs déplaçaient 50 et 77 tonnes).

Concernant la propulsion, les voiles latines se généralisent à leur bord (les galères en portent deux). Ce type de voiles est particulièrement bien adapté à la navigation dans les mers étroites et fermées car elles étaient plus pratique pour remonter au vent. Le navire avance aussi grâce à 25 paires de rames. Celles-ci sont actionnées par une chiourme de 250 hommes.

L'équipage comprend également 120 matelots qui sont dédiés à la manoeuvre et à la navigation. Ce qui tendrait à montrer que, par rapport à son équivalent antique (et ses 13 matelots), faire naviguer une galère du XVIIe siècle est un exercice bien plus complexe. Il y a toujours un corps d'hommes uniquement dédié à l'abordage.

L'éperon cède presque définitivement du terrain car il cède la place à une quille. Celle-ci supporte une plateforme triangulaire qui doit faciliter l'abordage.

Autre chose intéressante à relever, la galère s'est diffusée : elle n'est plus cantonnée à la Méditerranée, mais elle navigue également en mer Rouge, mer du Nord, dans la Baltique et dans la mer des Antilles.

Disparition des galères

Entre le XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie des galères sont retirées des marines. Certaines iront jusqu'à connaître le XIXe siècle. Il faut dire que fasse aux ponts garnis de sabords et de canons, les frêles galères perdraient toute mobilité après une bordée de fer dans leurs rames. Cette disparition donne même lieu à un échange géographique de témoin : la méditerranéenne galère cède la place au vaisseau du nord-européen.

Qui plus est, le feu grégeois disparaît avec les navires à rames. L'empire Byzantin aura emporter son secret. Ou presque car un certain Antoine Dupré en aurait rapporté la formule à la cours de Louis XV en 1759. Le roi ne choisit pas d'utiliser l'arme qui aurait donné pendant un « certain temps » un avantage monstrueux à la France dans la guerre sur mer. Après tout, il semblerait que personne n'avait réussi à enlever le secret du feu grégeois aux byzantins.



Avènement du vaisseau

Les galères, dromons et galéasses laissent place à des navires plus adaptés aux exigences de la navigation hauturière. Il y a une période transitoire où les deux types de navires vont cohabiter, soit entre le Xe siècle (apparition des cogues) et le XVII (voire le XVIIIe siècle de manière très épisodique). Ce navire qui nous vient des mers du Nord de l'Europe se transformera pour devenir la « nef », soit le vaisseau qui nous est si familier dans les guerres navales allant du XVIIe au XIXe siècle. C'est bien la capacité à emprunter l'Océan qui consacre ce changement de sceptre entre galère et vaisseau, mouvement appuyée par les grandes découvertes. Mais le fait que, l'architecture des vaisseaux est plus apte à l'emport de pièces d'artilleries en quantité et en lourds calibres qui achève la transmission.
Les guerres napoléoniennes consacrent le navire de ligne à trois ponts (soit trois batteries couvertes) qui est le roi des mers. En réalité, et comme l'auteur de « Trois ponts » peut nous l'apprendre, la place de ce type de vaisseau de ligne dans les flottes des XVIII et XIXe siècle est finalement assez marginal. C'est le navire de ligne à deux ponts qui est le roi des mers, et les guerres, de l'indépendance américaine jusqu'à celles de l'Empire (peu ou prou la période décryptée par Mahan et Corbett), montrent, démontrent la supériorité de cette formule architecturale sur l'autre.
Trois ponts expliquait la chose ainsi : le trois ponts est lourd, peu manœuvrant, lent. Qui plus est, sa batterie basse, celle portant les plus lourdes pièces d'artillerie, est la plus proche de la ligne de flottaison : à chaque fois que la mer est trop mauvaise, elle n'est pas utilisée. Tandis que le vaisseau à deux ponts, il a fini par porter deux batteries couvertes de canons au même calibre, aussi important que ceux de la batterie basse d'un deux ponts. La batterie du deux ponts étant assez haute au-dessus du niveau de la mer, elle peut toujours servir. Le navire étant dans l'ensemble plus manœuvrant, il peut se mesurer avec grands avantages face au trois ponts.

A travers l'arrivée des navires à vapeur, il faut distinguer deux grandes révolutions navales :
  • la propulsion à vapeur,
  • les obus explosifs.
La propulsion à vapeur est une Révolution Totale dans la stratégie navale. Depuis la nuit des temps, le navire ne pouvait se mouvoir que par la force des bras ou selon la bonne volonté des vents (d'où le fait de consacrer à ceux-ci un dieu est bien occupé par les prières des marins). Depuis que les bouches à feu se sont imposées à bord, elles ont pris la place des rameurs, ne restait plus alors que le vent. Ce dernier était une servitude incroyable dont on peut peiner à se rendre compte. Celui qui avançait avec un vent favorable pouvait espérer remporter la victoire puisqu'il avait l'énergie nécessaire à la manœuvre pour déborder et/ou enrober son adversaire, ou, au contraire, se dérober. Certains vents dominants étaient même de véritables obstacles invisibles pour espérer prendre le dessus sur un adversaire. Tourville ne peut pas profiter de sa victoire à la Hougue (1692) contre les anglais pour faire passer l'escadre à Brest ou St Malo. Une partie de ses navires ne dépassent pas le Cotentin faute de vent, donc faute d'énergie nécessaire, et la victoire de veille devient défaite. C'est pourquoi le port de Cherbourg existera, mais trop tard.

Mais depuis que la propulsion à vapeur existe, les navires ont découvert une liberté de mouvement totale ! Les nouvelles servitudes furent le charbon et le pétrole... Mais elles s'effacèrent, presque, devant l'énergie nucléaire.

Les obus explosifs "à la paixhans" (XIXe siècle) permettent de faire ce que l'on ne faisait pas ou plus (assertion qui renvoie directement à l'introduction et aux prudences énoncées) depuis le feu grégeois : couler des navires. Cela pouvait se produire, mais l'impression renvoyée par le récit des batailles est que cette finalité était trop difficile à atteindre.

Du XVIe au XIXe siècle, avant les obus explosifs, il était plus intéressant de "tirer à démâter" : c'est-à-dire que par diverses munitions et tactiques, il était question de faire tomber la mâture ennemie afin d'immobiliser le navire. Bordée par bordée, celui-ci pouvait encaisser nombre de coups sans broncher... tandis que l'équipage de faisait littéralement déchiqueter par les échardes qui s'échappaient de la coque. L'arrivée des caronades montra même encore une fois qu'il y avait un plus grand intérêt à annihiler l'équipage plutôt que de chercher à détruire le navire.

L'un des moyens de destruction était le brûlot : c'était une embarcation chargée d'explosifs. Tout le sel de la manœuvre consistait à réussir à faire approcher la bombe flottante du navire adverse en difficulté : c'est tout l'enjeu du livre d'un certain lieutenant de vaisseau Castex qui exposait que le feu devait désarmer le navire adverse (ce qui sous-entend que, en mer on arme des navires par des hommes, et que le feu agit en conséquence) pour ouvrir une brèche dans le dispositif afin que la galiote approche avec sa funeste mission.
La construction d'un navire trois ponts pouvant consommer de 2 à 2500 chênes et représentant une fortune colossale, il était relativement courant de chercher à capturer le navire adverse. C'était un moyen aisé pour étudier les techniques et technologies de l'adversaire, et pour augmenter sa propre flotte au détriment du perdant.
Finalement, c'était là une ligne traditionnelle du combat naval : depuis l'Antiquité jusqu'à cette époque, il était plus simple de "désarmer" le navire adverse (car il faut des hommes pour armer un navire) plutôt que le couler. Il était alors :
  • soit question de capturer le navire,
  • soit de le détruire par divers moyens.

Alors, quand les obus explosifs arrivent, les tactiques navales évoluent considérablement : quand il s'agissait plutôt de capturer le vaisseau ennemi, avec les obus à la Paixhans la destruction devient plus qu'envisageable. Et comment faire ? Le vaisseau est mû par la vapeur : il n'est plus question de tirer à démâter. Dès lors, une chose formidable se produit : le premier qui commence à toucher l'autre prend l'avantage au cours du combat. Et la propulsion à vapeur offre toutes les qualités requises pour avoir la liberté de manœuvre.

Finalement, Mahan ne fait que baigner dans cette époque où le fait naval va de révolution en révolution, tant sur le plan de la liberté des mouvements que sur des possibilités tactiques qui sont offertes. C'est à croire qu'il se focalise excessivement sur ce creuset où se réunissent des innovations alors que l'histoire navale montre d'autres pratiques. Par exemple, le feu grégeois n'a pas été diffusé de part le monde : si le secret l'explique en partie, il faudrait peut être avancer une absence de volonté pour se le procurer. Il n'est donc pas étonnant que l'amiral américain cherche à démontrer que pour obtenir le commandement des mers, il faut réussir à détruire la flotte adverse. La « bataille décisive » pourrait être un anachronisme qui se lit à travers le prisme des technologies de la seconde moitié du XIXe siècle et qui sert à regarder ce qui se faisait avant.
Le cuirassé Dreadnought n'est que l'accomplissement de l'idée la manœuvre pour détruire le navire adverse : tout les organes, ou presque, du navire sont tournés vers la mise en œuvre d'une batterie principale constituée de pièces du même calibre dont l'objectif est de détruire l'adversaire.

Ce que l'on pourrait oublier souvent, c'est que la propulsion à vapeur permet également l'émergence du torpilleur et du sous-marin. Ce sont deux types de navires qui vont considérablement perturber la constitution des flottes, et dès lors, il ne s'agira plus simplement d'accumuler un grand nombre de vaisseaux de ligne pour emporter la guerre navale, mais bien d'atteindre les buts de la guerre, malgré les systèmes de forces de l'adversaire.

Le porte-avions n'est que la continuation du cuirassé par ce plan là puisqu'il permet d'élargir l'horizon des armes en adaptant la puissance aérienne à la mer. Il n'y a pas de systèmes d'armes qui ait un horizon plus éloigné.

Quelque part, le sous-marin est le nouveau Dreadnought puisque les sous-marins d'attaque, en particulier, sont entièrement tourné vers la destruction de l'adversaire. C'est bien le premier qui entend (et non pas qui voit l'autre depuis la fin des submersibles dans les années 50 du XXe siècle) l'autre qui prend l'avantage. La torpille, par ailleurs, n'est pas une arme au feu gradué : dès qu'elle atteint sa cible, cette dernière a peu de chance de réchapper de la destruction. Le sous-marin d'attaquer pourrait alors apparaître comme l'aboutissement de la recherche de la destruction du navire adverse par le feu.

Autre sous-marin, autres destructions, le Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (S.N.L.E.) pourrait lui aussi être un autre Dreadnought : la portée de ses armes est intercontinentale et le feu nucléaire signifie autant destructions que terreur. Ce navire là s'attache plus à chercher à produire un effet sur terre : ses armes dépassent la seule recherche de l'obtention de la décision.

Mais ces deux vaisseaux noirs là atteignent le paroxysme de l'utilisation du feu dans la guerre navale : si l'efficacité dans la destruction de buts navals et terrestre est « totale », elle amène dans une impasse. Effectivement, le général Bauffre décrit la guerre comme étant un affrontement de deux volontés opposées (dialectique). Les deux belligérants n'ont que faire d'une monde purifié par le feu nucléaire, ce qui écarte le cas du SNLE dans les développements suivants.
Le sous-marin d'attaque pose bien des difficultés : s'il est désormais possible de couler la flotte adverse, est-ce souhaitable ? Il ne faudrait pas faire mentir l'Histoire : bien des guerres, bien des batailles ont vu des navires être emportés corps et biens par la mer sous les assaut de l'adversaire. Mais la capture tenait une grande place. La bataille de Lépante (1571) voit un « anéantissement » de la flotte turque, juste assez efficace pour qu'elle soit reconstruite en quelques mois. La guerre des Malouines voit le HMS Conqueror torpiller le croiseur Belgrano. Si les argentins pleurent l'orgueil de leur marine, cela ne cacha pas que le spectacle d'un équipage livré au feu et à la mer cruelle n'en provoqua pas moins un certain malaise en Grande-Bretagne. Les anglais se souvinrent peut être à cette occasion de l'émotion gigantesque produite quand le cuirassé Bismark envoya par le fond le HMS Hood : après quelques échanges de salves de 380mm, le Hood explose depuis l'une de ses soutes à munitions. Il y avait 1200 hommes d'équipages : il n'y aura que trois survivants. Si l'Argentine n'en avait pas les moyens, l'Angleterre de Churcill put se livrer à une fureur navale sans pareil pour exécuter l'ordre du Politique : « sink the Bismark ! »

Ce que l'on peut en retenir, c'est que, s'il est possible de détruire la flotte adverse, c'est au risque de provoquer une chose qu'il n'est nullement possible de réaliser : la montée aux extrêmes, décrite par Clausewitz. L'humiliation d'une défaite, qu'elle soit la perte d'un fleuron ou d'une flotte, est un puissant moteur de la revanche qui peut aller au-delà des intérêts du pays. Le sous-marin est binaire, par exemple : soit il détruit, soit il ne détruit pas. Le Politique ne peut se satisfaire d'un tel manque de souplesse, pour ne pas dire de subtilités. Ce qui explique pourquoi, d'une certaine manière (et encore une fois trop rapide) la guerre littorale prend un tel essor, pourquoi la guerre aérienne au servir des flottes ou permise par les flottes devient de plus en plus souple et pourquoi, enfin, le sous-marin produit autre chose que de la destruction de masse comme du renseignement et des opérations spéciales.

Les armes navales doivent permettre de peser sur la volonté de l'adversaire, pas de la raidir totalement à toute solution négociée.

Le cycle initié par les canons à la Paixhans, la torpille et le missile se termine peut être. Si jamais tel était le cas, alors il faudrait ne pas exclure totalement la destruction. Mais la possibilité de capturer tout ou partie des forces adverses redeviendrait un but à atteindre. La construction des navires -qu'ils naviguent sur ou sous l'eau- prend tellement de temps et de ressources que capturer ceux de l'adversaire pourrait être un gain stratégique non-négligeable. Ils peuvent permettre de gagner du temps ou de récupérer celui que l'on perdait vis-à-vis des avancées technologiques de l'adversaire : n'est-ce pas ce que l'Iran a fait en prétendant capturer au moins un drone américain, qui pourrait être un RQ-170 Sentinel ? Que ne fait pas la Chine en ayant rachetée des porte-avions occidentaux envoyés à la casse ?

Mais s'il fallait viser la possibilité de capturer et de faire des prisonniers, dans le but d'avoir de quoi négocier sur le plan politique sans provoquer une montée aux extrêmes, alors il faut des outils pour le faire. Les armes à énergies dirigées sont certainement ces outils.
Première chose, les flottes sont reliées à la terre sur des distances planétaires grâce au centre de gravité spatial. Une arme electro-magnétique bien dirigée et contenue dans une enveloppe géographique bien délimité pourrait permettre d'isoler un groupe naval adverse.

A ce moment là, l'assaillant, armé de navires de surface ou de sous-marins, pourrait achever de les isoler par divers outils : laser contre moyens optroniques, armes électromagnétiques, micro-ondes, etc... A la manière du feu des bordées, les navires seraient réduit au silence. L'équipage en subirait encore les effets : il serait la victime collatérale des dégâts que l'on cherche à infliger au vaisseau pour l'immobiliser.

L'abordage redeviendrait un art périlleux.
Imaginer qu'il y ait un état de belligérance intermédiaire entre les escarmouches para-militaires et la guerre de haute intensité serait, paradoxalement, un facteur de « paix » en Asie du Sud-Est. En effet, dans cette région du monde, les volontés s'affrontent, mais les moyens physiques non-cinétiques et cinétiques de la non-belligérance pour ce faire s'épuisent : au-delà, c'est la dangereuse montée aux extrêmes.

Au final, il y aurait bien à gagner à parvenir à cet ancien but de la guerre navale qui pourrait devenir « moderne » : la capture des navires. Pour l'un ce serait le moyen de gagner en savoirs, pour l'autre de contrôler ce que l'adversaire maîtrise réellement comme savoir. Même si aborder ne sera pas à la portée de tous (mais la guerre navale n'a jamais été un sport de masse).

Renforcer la puissance navale française ? La nouvelle frégate Gloire, entre cuirasse et armes électromagnétiques

© DCNS.

Les armes à énergie dirigée promettent quelques applications pratiques très intéressantes en matière de combat naval. Nous tentons de présenter une remise en perspective du combat naval où la question posée est : couler le navire adverse est-il l’objectif ? La tentative de réponse oscille entre le « il a fallu attendre que ce soit possible techniquement » et le « politiquement ce n’est pas forcément souhaitable ». Bien entendu, une perspective aussi sommaire ne peut qu’être insatisfaisante.

20 décembre 2012

2022 : vers une contribution navale à la DAMB ?

© Inconnu. Sea-based Anti-Ballistic Missile Intercept System.


C'est par une information de Mer et Marine du 11 décembre qu'il convient de se replonger dans l'évolution de la défense aérienne de la Flotte. Ainsi, il faudrait comprendre que l'état-major de la Marine planche sur les évolutions à apporter pour que, d'une part, les frégates Cassard et Jean Bart puissent aller au bout de leur service sans subir d'obscolenscences majeures, et que, d'autre part, le porte-avions n'en subissent pas non plus, en raison des mêmes causes. C'est-à-dire que le vénérable radar de veille aérienne DRJB-11B (qui équipaient ou équipent les trois navires mentionnés) arrive en fin de vie et ne correspond plus aux standards actuels.


18 décembre 2012

« Les sous-marins d’attaque dans l’action navale »

     Le Centre d’Études Supérieures de la Marine (CESM) et l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire organisait le 18 décembre 2012 de 14h à 17h30 à l’École militaire, un colloque intitulé « Les sous-marins d’attaque dans l’action navale ». 

13 décembre 2012

Archipel France : action combinée entre Marine et Gendarmerie


© Gendarmerie nationale.
Outre-mer, la Marine effectue un spectre de missions éclectique et multiforme, car il s'agit de pallier bien des insuffisances d'infrastructures ou d'organismes qui peinent à y assumer la totalité de leurs attributions.
La Gendarmerie est dans le même cas.

09 décembre 2012

"Introduction à la Cyberstratégie" d'Olivier Kempf


http://www.bbs-consultant.net/files/documents/SeaCable.jpg

Les infrastructures cybernétiques pénètrent le quotidien des hommes depuis longtemps. Il est assez difficile de trouver une date à cette ère puisque il y en a pour la faire remonter au temps des câbles télégraphiques. Quoi qu'il en soit, depuis le XIXe siècle, ce que l'on a coutume de nommer le cyberespace est une dimension prégnante de l'action humaine.

Dans ce milieu, des actions y sont menées à toutes fins : d'abord et surtout économiques, puis "stratégiques", mais pas seulement. Le cyberespace est devenu un milieu à part entière et tout milieu suppose une stratégie qui lui est propre. qiconque s'intéresse aux affaires mondiales n'a pu râter avec quelle ampleur le cyber s'est imposé dans les préoccupations stratégiques depuis quelques années. Cela fait quelques années que c'est un sujet de vives attentions : le cyberespace était entré trop discrètement dans le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, et il y fera une entrée en force dans celui de 2012. Que s'est-il passé entre ces deux dates ? Les attaques massives dans le cyberespace de 2007 contre l'Estonie et la guerre de Géorgie ont été deux éléments déclencheur d'une prise de conscience supplémentaire.

Mais de quoi la cyberstratégie est-elle le nom ? C'est à cette question que répond magistralement l'auteur d' "Introduction à la cyberstratégie", le stratégiste Olivier Kempf (Egeablog). Dès le début de son ouvrage il brosse le portrait d'un sujet mal connu. Il est possible de sortir trois des points majeurs de l'ouvrage pour mieux le présenter :
  • qu'est-ce que le cyberespace ?
  • En quoi le cyberespace permet-il à nouveau l'expression d'actions stratégiques offensives ?
  • En quoi l'arme cybernétique est-elle limitante ?

Première grande action, l'auteur nous offre une définition de ce milieu. Il part des quelques définitions officielles qui existent (celles de l'ANSSI et du CICDE) pour nous montrer qu'elles sont insuffisantes pour englober toute la complexité de ce milieu. Par exemple :
  • la première définition ("l'espace de communication constitué par l'interconnexion mondiale d'équipements de traitement automatisé de données numérisées") ne prend en compte que des considérations techniques : le cyberespace ne serait qu'un milieu virtuel naissant de l'interconnexions de réseaux de toutes sortes ?
  • La seconde définition, quant à elle (le cyberespace est "un domaine global constitué du réseau maillé des infrastructures des technologies de l'information (dont Internet), des réseaux de télécommunications, des systèmes informatiques, des processeurs et des mécanismes de contrôle intégrés. Il inclut l'information numérique transportée ainsi que les opérateurs des services en ligne"), conserve elle aussi cet aspect technique central mais l'ouvre également à une donnée essentielle, et non moins centrale : le cyberespace sert à transport de l'information.
Le cyberespace serait donc la conjonction, d'au moins, deux éléments centraux : les infrastructures physiques et l'information qui y transite. De là, l'auteur nous propose d'aborder le cyberespace selon une approche en couches :
  • la couche matérielle qui est constituée des infrastructures proprement dites et qui permettent d'interconnecter des machines qui ont vocation à communiquer entre elles ;
  • la couche logique qui recouvrent tout ce qui donne vie à ces machines (algorithmes, logiciels, programmes, etc...) et leur permettent d'utiliser leurs "organes" pour leur faire produire les travaux que l'on attend d'elles ;
  • la couche sémantique ou informationnelle qui renferme toute l'activité humaine dans le cyberespace se quantifiant en informations échangées ou produites.
Partant de là, le stratégiste nous fait remarquer que si dans la grande tradition technologique américaine (voir "La technologie américaine en question - le cas américain" de Joseph Henrotin aux éditions Economica) la première couche intéresse au plus point à Washington, il s'agit de remarquer que la Russie, comme la Chine, est plus sensible à la troisième couche. Mais les positions évoluent.

Toujours selon le propos de l'ouvrage, il faudrait voir le cyberespace comme une nouvelle sphère stratégique qui viendrait théoriquement se superposer aux premières :
  • terre,
  • mer,
  • air,
  • électromagnétique, 
  • nucléaire,
  • exospatial,
  • et le cyberespace.

Fruit de différentes caractéristiques, ce milieu est novateur car il est l'un de ceux qui permettent à nouveau la manœuvre stratégique offensive depuis la fin de la Guerre froide. Celle-ci se fait dans l'intérêt de la puissance politique qui l'emploie, et plus particulièrement, elle se fait aussi bien contre l'ennemi que contre l'allié qui peut se révéler adversaire.

La caractéristique majeure, que l'auteur souligne à maintes reprises, qui ouvre la voie à l'offensive stratégique est la très difficile imputabilité des actions dans le cyberpespace. La Russie n'a pas été reconnue officiellement comme étant l'instigatrice des attaques contre l'Estonie ou la Géorgie...

C'est-à-dire qu'il est possible de se soustraire à l'attention des diverses servitudes (diplomatie, médias, opinions publiques, etc...) qui entravaient l'action stratégique afin d'agir dans ce milieu pour y produire des effets aussi bien en son sein que dans d'autres. Si le cyberespace attend une guerre propre (comme tous les autres milieux), il sert aussi à en produit dans l'inter-milieu.

En ce sens, il offre une nouvelle corde à l'arc des acteurs en recherche de liberté. En la matière, les actions sous-marine et des forces spéciales étaient les dernières cordes à l'arc des Etats. Après tout, et comme le souligne Olivier Kempf, l'objet de la stratégie est de gagner des marges de manœuvre pour agir contre l'adversaire (bien que comme il le souligne dans son avant-dernier ouvrage la cyberstratégie doit s'accomoder une dialectique qui s'efface au profit d'une polylectique). La posture de défense serait bien dépourvue face aux attaques puisqu'elle ne peut que tenter d'y parer selon différentes configurations (défense étanche, en profondeur ou dynamique), mais sans pouvoir découvrir l'identité de l'assaillant.

Toutefois, la difficile imputabilité des actions dans le cyberpesace est inversement proportionnel à l'importance des actions offensives que l'on souhaite y mener : plus l'effet recherché de l'action est coercitif, plus sa discrétion sera moindre. C'est-à-dire qu'au delà d'un certain degré de violence des attaques, l'imputabilité ne sera plus possible. Il y a une auto-régulation dans le fait de permettre à nouveau l'offensive stratégique.

Enfin, il convient d'aborder rapidement la notion de cyberarme. Objet de tous les fantasmes, elle aurait la vertu de l'arme nucléaire : le pouvoir égalisateur de l'atome. Grisé par les réussites d'hackers isolés, on a pu prophétiser que l'action cybernétique se ferait au détriment des Etats et à peu de frais. Hors, il en est rien. Ainsi, la quantité de moyens à mettre en mouvement pour atteindre un but est proportionnel à ceux qui sont mis en œuvre pour le défendre. Cela revient à dire que pour attaquer une cible durcie par un groupe ou un Etat, il faut des moyens équivalents à ceux utilisés pour durcir la cible. Il n'est donc pas à la portée du premier venu de s'attaquer à l'un des Etats qui a une base industrielle et technologique de communication acérée. Par contre, l'inverse est vrai : la différence de potentiel de forces entre les acteurs fait que ceux en bas de l'échelle sont plus susceptibles de subir les assauts de ceux qui appartiennent au haut de l'échelle.

Mais l'usage des cyberarmes est malaisé :
  • d'une part, il n'y a pas de cyberarme générique. Ainsi, elle est conçue et dimensionnée en fonction de la cible. Il n'est donc pas possible d'improviser une attaque.
  • D'autre part, pour pouvoir mener des actions offensives grâce aux propritétés du cyberespace il convient de rester discret afin de rester en deça du seuil duquel l'imputabilité de l'action cybernétique demeure.
Pour infiltrer un dispositif ennemi, il convient alors de s'ingénier à utiliser les possibilités de l'intermilieux. C'est l'exemple typique du vers Stuxnet qui a frappé la centrale iranienne de Bucher et qui a été conçu grâce à des complicités internes, donc à une ou des actions clandestines.
Mais il y a une dernière grande limite à l'utilisation de cyberarmes : elle révèle le savoir-faire de l'arsenal qui l'a conçu. Si cette arme est de nature à inquiéter les autres acteurs alors c'est la voie ouverte à une course aux armements puisque toute puissance politique souffre comme d'une atteinte contre son existence le fait de ne pas pouvoir supporter la comparaison avec une autre qui détiendrait un avantage déterminant. La course à l'arme nucléaire fut irrésistible de part le monde...

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Ces trois caractéristiques majeures de l'arme cybernétique fait qu'il est mal-aisé de l'utiliser : les Etats-Unis étudièrent l'utilisation d'une de leurs armes contre la Libye avant d'abandonner l'idée de le faire pour ne pas révéler l'état de leurs capacités. Oui, l'action offensive cybernétique qui a pu être observé renforce la défense puisqu'elle sait à quoi se préparer. Mieux, pour se prémunir des attaques, la défense doit préparer l'offensive, et donc les cyberarmes, pour savoir à quoi s'attendre et ne pas se laisser surprendre...

L'ouvrage est une réussite puisque c'est bel et bien une introduction à la cyberstratégie. Après sa lecture, il est possible de sortir partiellement du brouillard de la Guerre et de mieux appréhender ce nouveau milieu. Ainsi, les différentes strates apparaissent du cyberespace, ses acteurs et ses manières d'agir y apparaissent et la pensée s'en fait plus claire.

On ne saurait mieux vous en conseiller la lecture si vous souhaitez appréhender ce nouvel espace sans y perdre votre latin et, pourquoi pas, aller plus en avant dans le détail pour comprendre toutes les subtilités dans lesquelles se nichent les enjeux.

Il conviendra de revenir un peu plus en avant sur les enseignements de l'ouvrage et tenter de voir en quoi l'action cybernétique ressemble comme deux gouttes d'eau à l'action du sous-marin nucléaire.

06 novembre 2012

Livre blanc : de l'arc de crises vers les zones d'intérêt national ?


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© Inconnu. Carte présentant les principaux "chocs" des flux maritimes mondiaux.

Le magazine l'Express de la semaine dernière (du 19 au 25 septembre 2012 - numéro 3194) évoque dans ses colonnes un bruit de coursive à propos du futur livre blanc. Il serait question de remplacer le concept de l'arc de crises (qui part de la Corne de l'Afrique pour arriver en Asie) par un autre qui pourrait être, selon le mot de Jean-Marie Guéhenno, président de la commission du livre blanc, celui de "zone d'intérêt national". Avant de tenter d'aborder cette notion qui n'est présentée que par sa dénomination, il peut être intéressant de ne pas se débarasser trop vite la précédente expression, qui serait d'ores et déjà, "ancienne".

L'arc de crise était l'un des objets marquants du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de l'an 2008. Serait-ce une création et française et récente ? Il faudrait en douter. Par exemple, l'amiral Alfred Tayer Mahan écrivait en 1900 un ouvrage qui est peut être oublié en France : "The problem of Asia and its effects upton international policies". Très brièvement, il est possible de dire que le concept de l'arc de crises n'est pas très éloigné de ce que décrivait Mahan dès 1900. Cela relativise assez les évolutions que le monde connaît depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les processus de décolonisation et la fin de la Guerre froide.

L'arc de crises de Mahan partait lui aussi de l'Afrique du Nord  (plutôt proche du Moyen-Orient que de Gibraltar) pour aller jusqu'en Asie centrale et tomber en Asie du Sud-Est. Globalement, l'auteur décrivait son tracé comme la résultante des lignes de fractures entre les poussées géopolitiques des différents acteurs : France, Angleterre, Russie et Japon. Ainsi, et dans le cadre d'un résumé très bref et "à main levée", il est possible de dire depuis cet ouvrage que :
  • la Russie poussait au Sud de ses frontières asiatiques vers les mers chaudes, soit vers l'Inde et le Moyen-Orient, d'une part, en allant à la rencontre de l'empire britannique. C'est bien cette poussée qui avait justifié la guerre de crimée (1853-1856).
  • L'empire Ottoman en serait presque réduit à être une zone tampon entre les deux empires. Il disparaîtra assez rapidement, finalement, après la Grande guerre.
  • D'autre part, de l'autre côté de l'Eurasie, cette poussée russe rencontrait l'expansion japonaise en Asie, alors encore balbutiante, mais qui avait déjà conquise une sorte de "Grande Corée". La bataille navale de Tsushima (1904) sera le point d'orgue de la victoire du Japon sur la Russie (qui prendra sa revanche en 1945).
  • Il y a le cas de l'expansion française en Afrique qui a rencontré celle de l'Angleterre à Fachoda (1898) et qui rencontrera celle du Japon autour de l'Indochine quelques années plus tard.
Enfin, Mahan était l'un de ceux qui prédisait le basculement géopolitique du monde de l'Europe vers l'Asie du Sud-Est. Ce n'était pas très étonnant puisqu'un certain Castex a écrit un ouvrage, aujourd'hui oublié, qui s'intitulait "Jaunes contre blancs" à propos de la guerre russo-japonaise (8 février 1904 au 5 septembre 1905). Il n'était vraiment pas le dernier à craindre la montée en puissance économique de l'Asie.

Les poussées géopolitiques du monde évoluent assez lentement. Il y a eu des changements dans les acteurs, avec, par exemple, une réduction de la place du Japon mais un accroissement considérable de celle de la Chine. France et Angleterre sont deux nations qui se sont repliées et ont vu leur poids se diluer, mais elles continuent à participer aux mouvements téluriques mondiaux (ce qui est assez estimable pour deux nations en perpétuel déclin aux dires des chroniqueurs). Les Etats-Unis ont fait leur irruption dans les affaires mondiales, processus entamé depuis le XIXe siècle. L'actuel conseil de sécurité de l'ONU rassemble, finalement, des puissances qui pèsent historiquement sur le monde.

En 2012, l'arc de crises est remis en cause. "Désigne-t-il simplement des menaces ou une zone d'intervention potentielle de la France ?" s'interroge une source "proche du dossier" pour l'Express. Peut être faudrait-il répondre à cette interrogation par deux autres questions :
  • est-ce que l'arc de crises recouvrent les zones de rencontres entre les sphères d'influence des grands acteurs du monde ?
  • Est-ce que cet objet qui définit une zone géographique recoupe l'emplacement des différents intérêts de la France dans le monde ?
Répondre oui, avec ou sans nuances, à l'une des deux questions, si ce n'est aux deux, c'est légitimer à nouveau un objet qui n'est pas dénué d'intérêts. Les derniers conflits (les guerres du Golfe, le conflit israélo-palestinien, les conflits véhiculés par les mouvements de population dans le Sahara, la guerre d'Afghanistan et les contentieux territoriaux dans les mers d'Asie) montrent que ce qui a été dit en 2008 reste d'actualité.

Par contre, le concept est peut être beaucoup trop réducteur : il pourrait, encore, recouvrir les zones où les intérêts des acteurs du monde se confrontent, mais il se détache peut être trop des intérêts franco-français. Par exemple, est-ce que l'arc de crises permet de contextualiser les priorités qui découlent de la nouvelle réalité géographique française (la France est un archipel) ? A priori la réponse serait non puisque les problématiques qui découlent :
  • de la découverte de pétrole en Guyane française,
  • les suspicions de gisements d'énergies fossiles dans l'archipel des Kerguelen,
  • et les richesses minières de la Nouvelle-Calédonie sont excentrées par rapport à l'arc de crises.
C'est plus que dommageable pour la perception que nous avons de nos intérêts puisque le pétrole guyanais nous oblige à nous intéresser au sort du canal de Panama (bulletin d'études marine numéro 146 du Centre d'Etudes Supérieures de la Marine (CESM) et à l'influence qu'il peut avoir sur la façade maritime de la France d'Europe. Tout comme les éventuelles richesses fossiles des Kerguelen nous obligera à considérer que nôtre intérêt consiste en notre capacité à maintenir ouvert les détroits par lesquels pourraient être exportées ces richesses fossiles. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, par extension, ne sont pas que des spectateurs des conflits territoriaux qui secouent l'Asie du Sud-Est puisque l'ouverture des détroits de l'insulinde est une préoccupation pour les importations et exportations de ces archipels.

L'arc de crises est donc beaucoup trop réducteur par rapport à la situation géographique nationale et nous empêche de nous concentrer sur d'autres objets stratégiques qui méritent pourtant toute notre attention car ils pèsent sur nos intérêts vitaux.

Enfin, la notion d'arc de crises recèlerait une dimension vexatoire pour certains Etats qui sont inclus dans cet espace, selon l'actuelle présidente de la commission de la Défense et des forces armées à l'Assemblée nationale, Patricia Adam. Il ne faudrait pas s'enfermer dans une notion théorique, comme celle des "rogue states" (toujours d'actualité, semble-t-il), propice à créer des problèmes supplémentaires dans les chancelleries. Il s'agit d'une vision des objets français à protéger qui doit permettre de considérer les aspérités du terrain qui doivent être utilisées à notre avantage ou qui ne doivent pas nous être interdites.

Alors, le président de la commission du livre blanc indiquerait que l'arc de crise pourrait être reformulé en "zone d'intérêt national".

Premièrement, il faut vivement espérer qu'il n'y aura pas une zone mais des zones. Cette façon d'aborder nos objets stratégiques correspondrait bien mieux au caractère archipélique du pays. Ce serait l'occasion de recouvrir les zones qui concernent une partie de nos inérêts liés à nos alliances et intégrations (OTAN et Union Européenne, par exemple) mais aussi nos intérêts strictements français. Certaines zones recouvriront les deux, mais dans des degrés moindre selon leur localisation géographique : si la coopération américaine est essentielle pour lutter contre les trafics de drogues dans la mer des Antilles, elle se construit différemment autour de la péninsule arabique.

Deuxièmement, la notion forcerait à les articuler entre elles. Par exemple, les besoins militaires pour protéger nos intérêts autour de la péninsule arabique (soit trois détroits) ne sont pas les mêmes que ceux qui sont nécessaires pour préserver la Guyane de l'orpaillage illégale et nous assurer de notre souveraineté sur les richesses pétrolières de ses eaux. C'est-à-dire que dans l'éventuelle zone d'intérêt national qui recouvrirait la péninsule arabique il faudrait plutôt compter sur le groupe aéronaval et le groupe de guerre des mines. Tandis que dans la seconde zone autour de la Guyane et de l'arc antillais il faudrait compter sur une aéromobilité au service de la sauvegarde du territoire et des forces maritimes bien plus centrées sur l'Action de l'Etat en Mer.

Troisièmement, il faudrait éviter toute désunion entre les zones puisque, pour en assurer leur unité, il serait très dommageable qu'elle soit l'occasion de diviser les forces armées selon des génômes si différents qu'elles ne pourraient pas ensemble concourrir à la défense nationale de la France, c'est-à-dire l'ensemble. La spécialisation des forces affectées à chaque zone ne doit pas nuire à l'unité des Armées.
Il faut être capable de protéger les zones de toutes les menaces, même si certaines sont plus propices à avoir besoin de certaines capacités opérationnelles plus que d'autres.

Quatrièmement, cela pourraît être une chance aussi d'imaginer de nouvelles façons de doter ces zones des matériels nécessaires à leur préservation. Par exemple, ce serait une opportunité qui s'offrirait à Paris pour monter des partenariats industriels originaux. Ainsi, l'interventionnisme étatique permettrait de lier diplomatie économique avec besoins militaires nationaux. Pourquoi ne pas se doter des moyens maritimes nécessaires à l'AEM dans des chantiers étrangers ? La politique industrielle pourrait alors être couplée avec l'autonomie économique de certaines régions et la constitution des moyens nécessaires pour la Défense. C'est peut être par ce biais que pourrait être résolu quelques problèmes liés au maintien en condition opérationnel des matériels du fait d'une trop grande centralisation en la matière.

Cinquièmement, ce serait une consécration politique par l'Exécutif du caractère marin, et même ultra-marin, de la France. Ce serait affirmé la réalité archipélique de la France. L'existence des zones d'intérêt national ira de paire avec nos archipels où se situent des moyens militaire. Mais elles iront aussi de paire avec les bases avancées françaises qui existent actuellement et qui préservent les intérêts français qui existent autour. Il a été dit qu'il faut une unité de moyens et de vues entre les zones. Il faudra donc en assurer la liaison, autant abstraite (l'unité des Armées) que physique : les différents moyens de toucher les différents territoires et les différentes zones d'intérêt national. De même il ne faudrait pas négliger la question des communications dématéralisées quand l'Arme des Transmissions fête son 70e anniversaire, que le débat sur l'Espace conserve une forte vigueur et que celui sur la Cyberdéfense s'envole chaque année un peu plus (ce domaine devrait être fortement mis en avant dans le nouveau livre blanc).

Sixièmement, ce serait également la mise en avant d'un concept qui devrait être suffisamment souple pour être adapté à l'évolution des menaces sans remettre en cause son existence ni nécessiter de repenser la stratégie nationale (sauf si la radicalité des évolutions le nécessitait).

Septièmement, il devrait y avoir un barycentre stratégique français qui devrait apparaître, c'est-à-dire un territoire qui se retrouverait le centre de l'archipel. Il ne serait pas bien étonnant que ce barycentre soit l'île de la Réunion. Ce n'est pas pas une chose à prendre à la légère puisque, et par exemple, la répartition de la Marine Royale entre Brest et Toulon nous empêchait de parvenir aisément à la concentration de nos forces. Les anglais surent exploiter avec brio cette faiblesse maritme française qui tirait sa source de sa double façade maritime. De plus, ils avaient l'avantage de se concentrer aisément autour de leur archipel britannique. Aujourd'hui, la France est multi-façade maritimes. Il n'est pas simple de les énumérer toutes. Mais elle recouvre presque tout les océans, sauf l'Arctique -et encore... La Réunion se retrouve au centre des différents territoires et à le mérite d'être le point de passage de nombreuses routes maritimes mondiales et d'être à proximité d'une grande partie des détroits mondiaux. En outre, l'ancienne île Bourbon se situe également sur la route de circumnavigation. Les deux nouvelles et principales grandes façades maritimes de la France pourraît être alors la Méditerranée et l'océan Indien. La jonction des moyens navals disponibles pour concentrer les forces reste difficile puisqu'elle est conditionnée à la sauvegarde des détroits de Gibraltar, du Cap et de la mer Rouge. Ce centre ne se suffira pas à lui-même (par définition). C'est pourquoi un basculement total sur l'une ou l'autre des façades ne serait pas non plus des plus convenables. Tout comme le statu quo le serait encore moins puisque si l'ambition était de peser sur les affaires asiatiques alors la façade maritime de l'océan Indien serait d'autant plus justifiée. Mais si ce basculement était avéré, alors il pourrait y avoir une nouvelle répartition des forces françaises. Donc le problème naval français que la Marine Royale avait connu pourrait refaire surface.

Huitièmement, cette appellation interpelle puisqu'elle est douée d'une certaine proximité avec l'expression "d'intérêts vitaux". In fine, si les zones d'intérêt national sont trop affinées par la délimitation de leur cadre géographique et les moyens qui leur sont alloués alors il sera potentiellement possible de relier l'expression du livre blanc à celle qui conditionne l'emploi du feu nucléaire national. Ce serait préciser les hypothèses d'emploi de la dissuasion alors que son but est le non-emploi et la réplique à une atteinte grave à nos intérêts vitaux. La dissuasion ne doit pas être affaiblie par une interaction non-désirée avec un nouveau concept issu du livre blanc, tout comme la question de la défense anti-missile balistique de territoire peut entraîner le même processus.

Dans ce dernie registre, c'est encore une fois la Marine qui est la plus indiquée puisqu'elle est garante de l'intégrité territoriale d'une France plus maritime que jamais. S'il existera des forces garde-côtières à travers l'archipel qui participeront aux problématiques de sécurité locale, ce seront bien les forces de haute mer (soit le groupe aéronaval et ses différentes branches (groupe amphibie et groupe de guerre des mines) qui feront le lien entre les différentes zones. Elles seront cette masse de manœuvre qui est et qui restera apte à faire basculer localement le rapport de forces en faveur de la France. Le Maréachal Foch n'aurait peut être pas dit mieux sur l'économie des forces. L'objectif est de conserver les moyens de manœuvrer dans le monde et cela passe par la préservation des moyens nécessaires à la projection et de puissance et de forces. Ce qui implique une cohérence entre les deux et que l'une ne fasse pas disparaître l'autre... Même si cela ne peut pas impliquer de conserver une stricte parité de moyens entre les deux types de projection, non pas par souci d'efficacité militaire et stratégique, mais bien par souci de préserver une hiérarchie obsolète entre les Armées et les susceptibilités de chacun.

Les zones d'intérêt national sont un nouveau concept très intéressant qui pourrait faire florès.

05 novembre 2012

Livre blanc et escorte aérienne de la Flotte : quelles options ?


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© Inconnu.

L'illustration de ce billet illustre assez bien les choix qui vont s'offrir au gouvernement et à la Marine nationale pour la défense aérienne de la Flotte :
  • est-ce qu'il faudra proposer une contribution navale à la défense anti-missile balistique, et si oui, laquelle ? 
  • Le format de la Flotte à quatre escorteurs anti-aérien doit-il être confirmé ou réduit ?
  • Faut-il pousser plus en avant la "croiseurisation" des escorteurs ? Ce serait rejoindre les conceptions américaines qui ont conduit à l'élaboration du programme Arleigh Burke.
Le nouveau livre blanc est en cours de rédaction. Ce n'est que le début, et il n'y a pas beaucoup de bruits de coursives à son sujet. Il a été dit qu'il serait plus court que l'ancien, et serait plus comparable à celui de 1972 qu'aux deux suivants (1994 et 2008) avec un format de 70 pages (environ). Ce livre blanc va pouvoir permettre de jauger les ambitions du nouveau gouvernement.

Pour en venir plus précisément aux faits, il y a un débat qui a secoué le monde qui va être tranché par cette déclaration de choix qu'est un livre blanc : bien entendu, il s'agit de la lutte contre les missiles balistiques.

Premièrement, et en réaction à la seconde guerre du Golfe (1990-1991), la France a construit une capacité d'interceptions de missiles balistiques de théâtre (ou tactiques) de courte portée (600 km de portée). Le SAMP/T est la matérialisation de cet enseignement et de cette volonté. C'est l'Armée de l'Air qui le met en œuvre sous l'appellation de Mamba. La chose qui est sérieusement envisagée, c'est une extension des capacités anti-missiles actuelles : il serait possible de porter le SAMP/T à des standards supérieurs et suffisants pour intercepter des missiles balistiques de 1500 km de portée. Est-ce que la Marine doit apporter une contribution navale à cette lutte contre les missiles balistiques ? C'est une première réponse que l'on peut attendre du livre blanc. Les missiles du système SAMP/T sont les mêmes que ceux du PAAMS qui équipent les frégates Horizon. Bien entendu, la réponse à cette question conditionnera fortement l'avenir de l'escorte anti-aérienne de la Flotte.

Deuxièmement, les présidents Chirac et Sarkozy ont confirmé la dissuasion nucléaire et réaffirmé sa place centrale comme réponse à des atteintes graves à nos intérêts vitaux. Le discours de l'Ile Longue du Président Chirac était assez clair à ce sujet en 2006. Paris ne se dirigerait donc pas vers une réponse autre la dissuasion en ce qui concerne les missiles balistiques intercontinentaux que des pays détenteurs pourraient utiliser comme une arme de dissuasion. 
Le problème, c'est que les Etats-Unis ne relâchent pas leurs efforts dans la lutte anti-missiles balistiques intercontinentaux (ABM) et dans l'élaboration de systèmes anti-missiles multicouches (combinaison de systèmes tactiques, comme les Patriot PAC-3, les THAAD et SM-3, et "stratégiques", comme les GBI).
Les américains ont réussi à implanter en Europe des éléments avancés et prépositionnés de leur bouclier anti-missile. Cette réussite de l'administration Bush a créé des déçus car, dans le projet initial, l'Europe n'avait aucune forme de protection en la matière, mais avait toutes les raisons de se sentir vulnérabilisée par un système qui attire le couroux des pays qui se sentent mis en danger par son existence.
C'est pourquoi l'administration Obama a remanié le projet afin que l'Europe bénéficie d'une certaine forme de protection. Le leitmotiv du projet est même devenu la "menace" iranienne. Mais surtout, les européens sont montés dans le train et au sommet de l'OTAN à Lisbonne, l'Alliance s'est engagée dans la défense anti-missile balistique de territoire. A ce moment là le Président était Sarkozy, et il n'y a eu aucun enthousiasme à se joindre au projet.
Bien des marines européens s'intéressent ou s'engagent dans des programmes d'acquisitions de missiles SM-3 et de modernisation de leurs frégates et destroyers pour participer à la défense anti-missile balistique de territoire. Ce recours aux marines s'explique par deux choses : d'une part, ces marines ont fait le choix d'installer à bord de leurs escorteurs anti-aériens le même système d'armes qui équipe les destroyers et croiseurs de l'US Navy. Le passage à l'acte est hautement facilité par cette proximité technologique. Par ailleurs, il aurait été peut être plus coûteux d'évoquer l'acquisition de systèmes fixes à terre alors que le développement de capacités anti-missiles balistiques était beaucoup plus simple à bord de ces navires. Aussi, il faut relever que la défense nationale de ces Etats reposent en très grande partie sur l'implication des forces américaines en Europe : cela se paie par la participation à des programmes d'armements plus ou moins utiles, comme le Joint Strike Fighter (F-35) et la DAMB. D'autre part, il est possible avec des Etats à la géographie réduite d'évoquer une défense anti-missile balistique de territoire avec des navires puisque leur champ d'action couvre le territoire national, tout en restant à quai. En outre, cette exiguité géographique ce combine, donc, avec une menace claire et identifiée, ce qui simplifie le positionnement des systèmes.
Dans le cas français, ce n'est pas envisageable puisque la France est un archipel. Enfin, ils n'ont pas de dissuasion nucléaire, donc ce substitut est plus facile à articuler dans une défense nationale. En France, la dissuasion est un outil qui fonctionne en permanence et tout azimut. Dans le cas de la défense anti-missile balistique, ce n'est pas possible de construire à l'échelle de la France une défense anti-missile balistique de territoires tout azimut : le coût serait monstrueux. Il est plus simple d'adapter des frégates et detroyers au missile SM-3 quand la menace est identifiée plutôt que de construire une défense dans ce domaine tout azimut avec une couverture presque nécessairement mondiale. En outre, quelle serait la crédibilité d'une DAMB construite autour de la "menace" iranienne quand la dissuasion est tout azimut ?
C'est pourquoi il est possible de s'attendre légitimement à ce que le gouvernement du président Hollande réaffirme la place centrale de la dissuasion nucléaire pour la protection des intérêts vitaux et reprécise son articulation avec une défense anti-missile balistique de théâtre qui pourrait s'affiner.

La Marine nationale pourra alors se demander si l'Exécutif souhaite qu'elle participe à la défense anti-missile balistique de théâtre. C'est un choix qui découlera du livre blanc et qui sera dimensionnant pour la composante anti-aérienne de la Flotte. Par exemple, les frégates Horizon qui sont dévolues à la défense aérienne d'un groupe naval disposent de 48 missiles Aster 15 et 30. Admettons qu'il faille, dans le cas de l'interception d'un missile anti-navire à vol rasant, lancer deux missiles : il est alors possible de comprendre que les munitions partent très vite... Donc, s'il fallait inclure de nouvelles menaces à engager, il pourrait être nécessaire de reconsidérer le nombre de munitions devant être embarquées pour répondre à l'ensemble des missions définie. C'est possible sur une frégate de classe Forbin puisqu'il existe une réserve sur l'avant pour 16 missiles supplémentaires. Les travaux les plus coûteux consisteraient en l'adaptation du système d'armes des deux frégates Horizon, le PAAMS, à la DAMB de théâtre. Le Sénat comptabilisait 300 millions d'euros pour porter les deux frégates vers les capacités DAMB du SAMP/T.

La dernière question qui concerne les escorteurs anti-aériens de la Flotte concerne le format de cette escorte, justement. La Marine maintient depuis plusieurs décennies, tant bien que mal, un format minimum de quatre frégates ou croiseurs anti-aérien capables de protéger une escadre des menaces aériennes les plus modernes. Le livre blanc de 2008 demandait à la Marine de pouvoir escorter et le groupe aéronaval et le groupe amphibie. Avec moins de quatre frégates, ce n'est pas envisageable. A l'heure actuelle, les frégates Forbin et Chevalier Paul répondent bien à ce besoin. C'est de moins en moins le cas pour les frégates Cassard et Jean Bart qui, malgré quelques modernisations, comme le changement de radar de veille aérienne lointaine, accusent leur âge et l'âge de leur système d'armes. Est-ce que le livre blanc va maintenir ce format à quatre unités ?

Si le format est maintenu, alors il s'agit de savoir si le gouvernement va lancer le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart car, et comme le relève Navy Recognition, le missile SM-1 ne sera plus maintenu en service dans l'US Navy. Nos deux frégates françaises sont justement conçues autour de la mise en œuvre de ce vecteur. S'il était nécessaire de les prolonger, alors il faudrait moderniser leur systèmes d'armes : "A solution would be to replace the SM-1 with SM-2 Block IIIA missiles. According the Raytheon, in order to safely fire SM-2 missiles, the MK 13 GMLS would need two ordnance alterations (ORDALTs) performed. Both of these ORDALTs are minor in nature. There is no need to change the launcher or raise the platform. The fire control radars (SPG-51, STIR 180, STIR 240) usually do not need to be upgraded or replaced, but the CWI Transmitters require upgrading. There will be some additional hardware and software required to initialize, launch, and control SM-2 missiles as well as minor changes to the combat management system to account for the much larger intercept envelope SM-2 has when compared to SM-1". Ce serait moins coûteux que l'achat de deux nouvelles frégates, mais cette modernisation appelle deux questions fondamentales :
  • est-il financièrement raisonnable de prolonger une frégate au-delà des 30 années de service ? Elle a été conçue dans les années 70.
  • Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
Avec les frégates Forbin et Chevalier Paul la lutte anti-aérienne est passée au stade supérieur : celui de la "défense aérienne de zone", d'où la dénomination de "frégate de défense aérienne" (et non plus "anti-aérienne) pour ces deux unités. Maintenir ces deux frégates en service au-delà des dates de retrait (2018 et 2020), c'est maintenir une division parmi les escorteurs de défense aérienne qui finira par se faire ressentir sur un théâtre d'opérations.
De plus, il y a une chose à dire à propos d'une modernisation qui nous obligerait au près des américains : est-ce que Washington livrerait la version MR (Medium Range) ou ER (Extended Range) du SM-2 ? La différence entre les deux est d'une quarantaine de kilomètres (50 contre 90) ! En outre, ce serait le futur SM-6 qui serait optimisé contre les missiles anti-navires. Les missiles Aster luttent contre tout ce qui vole actuellement, il serait dommage de ne pas rentabiliser l'investissement pour, en plus, se rendre dépendant des aléas des humeurs de Washington. Qu'est-ce qu'en pense l'Armée de l'Air de cette histoire : les Etats-Unis autoriseront-ils la modernisation ?...
Entre parenthèse, cette idée d'une (nécessaire ?) homogénéïté entre les escorteurs se posera également en cas de décision politique en faveur d'une contribution politique à la DAMB de théâtre : si le format d'escorteur anti-aériens était maintenu à quatre, alors est-ce que sur le long terme les quatre devraient être capables de remplir des missions anti-balistiques ?

Il reste la solution de la confirmation du remplacement des deux navires. C'est certainement la plus simple. Il s'agirait de commander les deux FREDA qui sont en gestation depuis 2007-2008, soit depuis l'annulation des frégates Horizon 3 et 4. Etait-ce une si bonne affaire financière que cela de ne pas confirmer ces deux navires ? Il y a un intérêt certain à ce que la Cour des comptes se prononcent. En attendant, la piste retenue depuis cette annulation est celle du développement d'une version anti-aérienne du programme FREMM. Pendant un temps, ces études devaient être financées par la Grèce qui était intéressée par l'acquisition de six frégates FREMM à dominante anti-aérienne. Si les allemands ont pu vendre au bon moment leurs sous-marins à la Grèce, les frégates françaises ne passeront pas. Faute de commande à l'exportation, c'est donc la France qui va régler l'intégralité des études. DCNS a dévoilé un peu en avance sur le salon Euronaval à quoi ressemble sa proposition en la matière : la FREMM-ER.

http://www.meretmarine.com/sites/default/files/styles/mem_500/public/new_objets_drupal/fer.jpg© DCNS.

Mais il existe aussi la possibilité que le gouvernement réduise le format ou décale cette réduction en abandonnant le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart. Ces frégates seraient alors naturellement remplacées quand "les conditions économiques et financières le permettra". C'est la réponse du livre blanc au second porte-avions depuis 1994.

Dans cette optique, il existe la possibilité d'une autre modernisation, ou plutôt d'une refonte, pour sauvegarder le format anti-aérien de la Flotte : la croiseurisation des frégates FREMM à vocation anti-sous-marine. La question qui peut germer dans la tête d'une personne qui aperçoit la FREMM-ER pourrait être : est-ce que cette mâture unique avec un radar de veille aérienne à quatre faces planes peut être installé (ainsi qu'avec le système d'armes associé) sur une FREMM ASM ? La question taraude bien des personnes.
De plus, DCNS, propose la FREMM-ER avec la possibilité d'instégrer un VDS (Variable Deep Sonar : les fameux poissons des navires ASM) sous la plateforme hélicoptère, comme c'est le cas sur les FREMM ASM. C'est comme le fait que les frégates Horizon ont révélé de très belles performances en lutte ASM aux essais grâce au sonar de coque, à l'antenne linéaire remorquée et, bientôt, grâce au NH90 et ses capacités ASM. Il semblerait que cet hélicoptère va permettre un saut par rapport à ce qui se faisait avant en la matière.
Dans les deux cas, FREMM-ER et Horizon, il y a une frégate de défense aérienne qui a toutes les capacités et les matérielles, ou presque (absence du VDS sur les Horizon) pour faire de la lutte ASM et de la défense aérienne de zone. Pourquoi donc ne serait-il pas possible de "FREMM-ERiser" toutes les FREMM ASM ? Si jamais c'était possible, alors la défense aérienne de la Flotte ferait un bon en avant avec un format non pas à quatre escorteurs mais à 11 ou 9.

Le livre blanc va donc inviter la Marine à choisir entre un statu quo avec simple renouvellement des deux frégates Cassard et Jean Bart, une diminution du format à deux unités (car pour arriver en Flotte en 2018 et 2020, il faut lancer le programme aujourd'hui), un choix en faveur ou non de la DAMB de théâtre et, enfin, une croiseurisation des FREMM ASM si jamais cela été possible.

S'il était techniquement possible de croiseuriser les FREMM ASM grâce à un développement de leurs capacités anti-aériennes par l'intégration du systèmes d'armes du PAAMS et des avancées en matière de radar (aux capacités supérieures à celles des Horizon) et de mâture unique, alors il vaudrait peut être mieux obtenir 9 croiseurs légers par modernisation et refonte. Les crédits nécessaires à ces opérations sont dans les sommes alouées au programme FREDA dans la prochaine loi de programmation militaire et au désarmement avancé des frégates Cassard et Jean Bart. Le calendrier est bien calé puisqu'il serait certainement possible d'effectuer les modifications directement sur la ligne de production des FREMM françaises, à Lorient.

L'état-major de la Marine ne met pas en avan cette solution, qui traduirait un resserement de la flotte de surface, certes. Mais cette réduction doit être compensée par les programmes BATSIMAR, BSAH et BMM qui donneront les nombreux vecteurs nécessaires aux missions de sauvegarde et sécurité maritimes. Une partie de la Marine ne peut pas non plus se dédire : les frégates lance-engins Suffren et Duquesne étaient des croiseurs légers. Il ne manque plus que le sonar remorqué sur les frégates Horizon, même si elles feront aussi bien grâce à l'hélicoptère embarqué, le NH90.

La croiseurisation résoudrait bien des difficultés à moindre coût et permettrait, paradoxalement, de regagner un volume d'options tactiques tout en démultipliant l'influence politique de chaque frégate.

02 novembre 2012

Du Shi Lang au Liaoning : réaffirmation de la volonté de Pékin en Asie ?


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cb/Mukden_1931_japan_shenyang.jpg© Wikipédia. Troupes japonais entrant à Shenyang pendant l'incident de Mukden.

Les médias francophones tombent sous le charme du premier porte-aéronefs chinois, et ne cessent de gloser sur son impact, fantasmé, sur les crises latentes de l'Asie du Sud-Est. Ce blog se permet de dire que l'entrée en service de ce navire, le 26 septembre 2012, n'est pas synonyme d'une menace actuelle. Alors, est-ce que, comme cela a été prétendu sur ce blog, la Chine aura un groupe aéronaval crédible sur le plan militaire en 2017, 2019 ou 2022 ? Peu importe, à dire vrai, que la date proposée (2022) soit la bonne. Le problème, c'est que tout nos médias se focalisent sur l'entrée en service d'un navire qui ne peut pas, être à l'heure actuelle, être la pièce centrale d'un outil militaire offensif : les chinois ne savent pas (encore) faire. Ce sera pareil pour les anglais quand ils recevront leurs deux porte-aéronefs entre 2018 et 2020 : il leur faudra bien de 7 à 10 ans pour reconstruire un outil aéronaval crédible.

Mais ce navire a une signification beaucoup plus précise pour l'Asie : la Chine lance un porte-aéronefs (qui sera assisté par des escorteurs, dont certaienment des sous-marins, en sus des frégates et destroyers, et pourquoi pas une coopération avec l'aviation à long rayon d'action (autant de patrouille que d'attaque anti-navires) pour guider cette escadre) qui n'est qu'un navire d'expérimentations, d'essais et donc, in fine, un navire école ! Ce que peuvent craindre les nations asiatiques, c'est que ce navire permettent sur la période allant de 2020 à 2025 de constituer le noyau dur d'une puissance aéronavale chinoise pouvant permettre aisément l'entrée en service d'un deuxième, voire d'un troisième navire. Oui, c'est bien cette potentielle montée en puissance chinoise qui inquiète dans la région.

Ce temps semble long à ceux qui s'attendaient à ce que le vaisseau présente une menace actuelle. Mais dans le temps de la mer, qui est un temps long, Pékin pourrait prendre de vitesse bien des rivaux. Il doit être clair pour tout le monde que l'acquisition d'un porte-avions et sa préparation pour qu'il devienne la pièce centrale d'un outil stratégique relève du temps  long :
  • quelques années sont nécessaires pour concevoir le navire dans un bureau d'études.
  • La durée de construction généralement constatée d'un tel navire et pour l'armer de tout ses systèles est de 5 à 7 ans.
  • Enfin, 5 à 10 ans années sont nécessaires pour le transformer en un outil opérationnel (à force d'entraînements et d'échanges avec les marines alliés) capable d'opérer avec un groupe aéronaval.
Nous sommes en 2012, et autant dire que si, effectivement, la Chine construit une escadre école pour accueillir deux porte-aéronefs de plus, et avec, peut être, le premier porte-avions (à propulsion nucléaire) sur la tranche des années 2020-2025 (Mer et Marine évoque la construction d'un, voire de deux, porte-aéronefs à propulsion classique, et peut être même d'un porte-avions nucléaire -notez que ce serait un porte-avions, et non pas un porte-aéronefs), alors elle prendra toute l'Asie du Sud-Est de court.

C'est-à-dire que la région aura très peu de temps pour se positionner face à la puissance chinoise qui va encore monter d'un cran. Pour exemples :
  • les programmes indiens d'acquisition de porte-aéronefs accumulent les retards : les navires (un, voire deux Air Defense Ship/Indigenous Aircrafts Carrier et l'INS Vikramaditya (ex-Gorshkov soviétique) n'arriveraient en flotte que vers 2017-2020).
  • La Russie maintient le Kuznetsov en service, mais elle n'a pas encore retrouvé les capacités nécessaires pour le remplacer, voire augmenter sa flotte de ponts plats. La démonstration la plus flagrante de cet état de fait est que la Chine aura réussi l'exploit de refondre et mettre au service un ancien porte-aéronefs soviétique (classe Kuznetsov) avant que Moscou réussisse à en faire de même pour honorer le contrat d'acquisition passé par l'Inde pour un autre ancien porte-aéronefs soviétique (le Gorshkov, donc, de classe Kiev).
Il demeure donc essentiellement les Etats-Unis dans la région. Ils sont directement impactés par le potentiel défi (Pékin dément construire un ou deux autres navire) et cela ne fait qu'accentuer leur problème naval : avec un navire stationné au Japon, un ou deux patrouillant dans le Golfe Persique et un autre faisant la jonction entre l'océan Indien et l'Asie du Sud-Est, il n'y a pas tellement de navires américains face à un, deux ou trois (à l'orée 2020) navires chinois jouant à domicile -ils passent donc tout leur temps opérationnel sur le théâtre alors que les navires américains passent un bon tiers de leur temps en transit.

C'est justement la volonté des Etats-Unis qui est mesurée par Pékin.

Sur le plan naval, il faut bien comprendre que la Chine ne donne pas, par hasard, des noms à ses navires. Par exemple, le navire-école chinois qui sert à former les officiers d'une marine océanique en construction porte un nom bien particulier : le Zheng He. C'était aussi le nom d'un amiral chinois du XIVe siècle. La particularité de ce marin est qu'il est soupçonné d'être l'un des premiers à avoir découvert l'Amérique du Nord dès le XIVe siècle (mais d'autres pistes portent à croire que ce serait une découverte viking qui daterait du Xe siècle -l'Europe est sauvée). Mais plus encore, du temps de cet amiral, la marine chinoise était une force océanique capable de croiser depuis la Chine jusqu'au Golfe Persique et de soumettre ces côtes à l'influence chinoise.

Dans un premier temps, donc, ce premier porte-aéronefs chinois etait baptisé "Shi Lang". C'est le nom d'un amiral chinois qui servit sous les dynasties des Ming et des Qing, soit au XVIIe siècle. Une des réussites militaires de cet amiral a une résonnance toute particulière, encore aujourd'hui : il réussi à soumettre l'archipel de Taiwan. Donc, et alors que Pékin niait toujours, pour la forme, que l'ancien Varyag soviétique allait devenir un navire militaire, il était attribué d'un nom à la symbolique très forte. Il semblait bien trouvé puisqu'il permettait à Pékin de matérialiser une volonté politique très forte de faire entendre raison à cet archipel pour qu'il rejoigne "une seule Chine, deux systèmes" -ou trois systèmes pour l'occasion. C'était une réaffirmation politique qui aurait fait écho à bien des discours. Mais c'était aussi un risque calculé car si la Chine montait progressivement d'un cran dans le cadre de cette crise larvée, elle le faisait très progressivement sans déstabiliser la région. Les Etats-Unis auraient alors reçu très clairement le message puisque l'archipel de la Chine nationaliste est sous leur protection (bien que Washington évite de franchir des lignes jaunes en accordant une trop grande protection aux yeux de Pékin - autre chose à noter, les Etats-Unis se méfient, peut être trop tard, de la réussite chinoise à espionner les matériels américains vendus à Taiwan, ce qui pourrait expliquer quelques lenteurs à la livraison de matériels).

Mais ce n'était qu'un nom de baptême officieux : rien de rien n'était officiel.

C'est bien dommage, dans un sens. Il a été dit que bien des esprits se focalisent (trop ?) sur les capacités supposées du navire. Sans paraphraser ce qui a été dit plus haut, ce porte-aéronefs n'est pas la pièce d'un groupe aéronaval opérationnel. C'est la pièce maîtresse de la montée en puissance de la Chine dans le club fermé des marines dotées d'une aéronavale embarquée sur porte-aéronefs ou porte-avions. Ce qui aurait dû retenir l'attention, c'est le nom du navire. Première observation, c'est le nom de la province il a été refondu et mis en service : Liaoning. Et alors ? Il y a bien un porte-avions Charles de Gaulle qui était baptisé Bretagne au début de son programme en France et la première frégate du programme FREMM qui est nommée Aquitaine. Deuxième remarque : la Chine ne semble jamais donner un nom à un navire de premier plan à la légère...

La troisième remarque n'est que le fruit de la supposition de l'auteur de ce blog : Liaoning, ce nom n'est pas inconnu dans nos manuels d'Histoire. Liaoning est donc le nom d'une province chinoise. Cette entité administrative abrite une ville, Dailan, où a été refondu et mis en service le navire. La capitale de cette entité territoriale est Shenyang. Le nom mandchou de cette ville est "assez intéressant" : Moukden. En 1931, l'empire du soleil levant organise un faux attentat sur une ligne de chemin de fer appartenant à une société japonaise. Cet "attentat" (il est avéré aujourd'hui que c'est bien le Japon qui l'avait monté de toutes pièces) a été le prétexte pour Tokyo pour occuper la Mandchourie. La suite de l'Histoire est connue : la Chine côtière fut en grande partie soumise par les armes japonaises, et ce fut un massacre parmi les chinois. Aujourd'hui encore, Pékin exige des excuses du Japon et la fureur populaire chinoise explose à chaque fois que cette période est minimisée au Japon, comme quand un manuel scolaire japonais restait bien "modeste" sur cette période.

Il faudrait donc admettre que le nom du premier porte-aéronefs chinois ait été effectivement choisi en liaison avec cet évènement historique qui inaugurait une période noire pour la Chine. Les gouvernements successifs de Pékin, depuis la proclamation de la République Populaire de Chine, s'acharnent à démonter, les uns après les autres, les traités "inégaux" que la Chine aurait eu à signer au XIXe siècle (essentiellement). Cette fois-ci, la Chine pourrait (ce n'est qu'une supposition) adresser un message très fort au Japon : il y a des contentieux à régler, et cela ne peut plus se faire sur des bases que les gouvernants chinois jugent ou jugeraient inéquitables. Pékin afficherait alors une ligne géopolitique constante, mais renouvelerait également sa volonté par cet acte fort.

Dans le cadre de cette supposition, ce n'est plus seulement l'archipel nationaliste et rebelle qui est visé, mais c'est bien le Japon. Le protecteur stratégique est le même dans les deux cas. Ce ne serait pas du tout la même chose entre la réintégration de Taiwan dans le giron chinois et le lâchage du Japon par les Etats-Unis :
  • d'un côté, il y a un archipel qui est divisé entre indépendantistes et un autre camp plutôt désireux de se rapprocher de la Chine (ce qui ne veut pas dire rattachement pur et simple). Si la pression des armes chinoises se fait sentir, la porte n'est pas non plus fermée à une solution politique.
  • De l'autre côté, il y a le Japon. L'archipel dépositaire de l'empire du soleil levant est sous protectorat américain depuis 1945.
La sécurité nationale japonaise repose sur la volonté des Etats-Unis à rester suffisamment engagé en Asie pour défendre et leurs intérêts, et l'archipel. Si donc le message de la Chine passe par ce navire, dont le nom ferait référence à l'incident de 1931, alors un défi est lancé au Japon et aux Etats-Unis.

La Chine fait sentir sa présence navale, via ses agences paramilitaires, le long de ses côtes à travers tout les archipels et îlots qui font l'objet d'une crise larvée depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies (Taïwan donc, mais aussi les Senkaku, Paracels et les Spratleys). Ces confrontations navales qui se font via des forces civiles ou paramilitaires font craindre l'engagement des marines de guerre des pays concernés. Par son porte-aéronefs, Pékin pourrait (conditionnel, toujours) faire savoir que, à l'avenir, la volonté de la Chine est suffisamment forte pour engager un ou deux autres porte-aéronefs supplémentaires, voire un porte-avions nucléaire. Il y a donc un défi militaire qui est lancé. Le Japon a d'ores et déjà lancé deux destroyers porte-hélicoptères (16DDH) et devrait percevoir dans les prochaines années deux autres navires porte-hélicoptères (les deux destroyers 22DDH, notoirement plus grands). La question qui est posée aux Etats-Unis est celle de la volonté :
  • est-ce que Washington relève le défi chinois et reste partie prenante dans les différentes crises qui secouent le Sud-Est asiatique, notamment et surtout les crises territoriales ?
  • Ou bien est-ce que la stratégie d'engagement prioritaire en Asie décrétée par les derniers gouvernements américains (dont celui d'Obama) n'est pas subordonnée à une volonté politique suffisamment solide ?
Pékin fait sentir sa détermination, notamment, et pas seulement, par le poids de son engagement naval. Alors soit les Etats-Unis répondent présent et l'US Navy s'engage encore plus en Asie, soit le Japon et les autres nations asiatiques se retrouvent en tête-à-tête avec la Chine. A ce moment là, les modalités d'un équilibre des puissances entre elles seront tout autre avec une présence américaine en reflux.

Cette supposition sur le choix du nom du porte-aéronefs chinois demeure une supposition. Il est certain que la Chine ne choisit pas au hasard le nom de ses plus importantes unités navales qui constituent le fondement de sa puissance de demain. Si c'est une manière de tester la volonté politique américaine, alors la réponse façonnera pour beaucoup les équilibres gépolitiques des 20 ou 30 prochaines années. Dans ce cadre, l'Europe ne peut que s'attendre à un seul cas de figure : un désengagement américain encore plus grand du Vieux continent puisque : si les Etats-Unis relèvent le défi asiatique jusqu'au bout en continuant à construire un front d'opposition à Pékin, alors les américains auront besoin de la majorité de leurs forces disponibles dans le Pacifique, et cela se fera certainement au détriment de l'Europe (qui investit beaucoup moins sur le plan militaire que le reste du monde). Mais si les Etats-Unis abdiquaient face à Pékin et abandonnaient la stratégique de containment de la Chine dans le Pacifique, alors pourquoi est-ce que les Etats-Unis s'investiraient-ils en Europe ?!