Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





12 juillet 2012

2012-2020 : le système Harfang doit-il être repris par une unité commune Aéronavale/ALAT ?


© Inconnu.

Il y a deux choses qui doivent conduire à considérer, d'une part, ce qu'il adviendra du système Harfang, et d'autre part, si une base mobile pouvait lui permettre de gommer une partie de ses obsolescences actuelles, comme celles qui sont liées à son autonomie trop légère par rapport à des drones MALE plus lourds.

Premièrement, il peut être bon de glisser quelques pistes sur l'origine du programme SIDM (Système Intérimaire de Drones MALE). Ce système devait être l'école d'apprentissage, aussi bien pour les opérationnels que pour l'industriel retenu dans le cadre du programme EuroMALE. Ce programme lancé en 2002 ou 2004 en France avait donc deux volets :
  • le système intérimaire,
  • et un futur "drone MALE durable".
Le premier devait quitter le service en 2010, année où le second devait lui prendre son service. Ce qui s'est plutôt passé, c'est que le système intérimaire a pris son service en 2010 et que le drone MALE durable a connu quelques viscitudes. Le SIDM emprunte la plateforme israélienne Eagle One et l'EuroMALE devait emprunter Eagle 2 : le Héron TP. A l'heure actuelle, la seule chose qui change c'est que ce drone israélien ne doit plus devenir la base du système EuroMALE mais bien servir de base à un second système intérimaire. Celui-ci disposerait de tout ou partie des capacités visées par EuroMALE. L'autre nouveauté, c'est l'entrée en piste d'un compétiteur américain, le Reaper de General Dynamics, pour ce SDIM 2.

Deuxièmement, le système Harfang n'était qu'une sorte de laboratoire volant qui n'avait pas pour vocation à devenir une capacité opérationnelle de l'Armée de l'Air au service des Armées. Force est de constater que ce soit au-dessus du sol national, en Afghanistan et en Libye, ce système a pu devenir opérationnel et rendre de grands services :
  • "Pourtant, plus de deux ans après sa mise en service, les chiffres parlent d'eux-mêmes: plus de 6.000 heures de vol ont été accumulées par les quatre vecteurs aériens Harfang, dont une écrasante majorité en zone de conflit. Déployé en Afghanistan, sur la base de Bagram, depuis février 2009, le Harfang y aurait accumulé pas moins de 4.250 heures de vol au cours de 511 missions. Ces chiffres, arrêtés au 18 septembre, ont été révélés mercredi par Cassidian, la division d'EADS responsable du programme". 
  • "Opérationnel depuis le 24 août sur la base sicilienne de Sigonella, le Harfang participe régulièrement à la surveillance du territoire libyen. L'unique vecteur déployé en Sicile a réalisé 11 missions en date du 18 septembre, accumulant ainsi 179 heures de vol. Du 18 au 27 mai dernier, un drone a également participé, depuis la base aérienne 105 d'Evreux , à la surveillance du G8 de Deauville - évènement au cours duquel 62 heures de vol ont été réalisées". 

Troisièmement, il y a ce premier système intérimaire qui, en l'état actuel des choses et des décisions, ne risque pas de demeurer en service car son contrat de MCO (Maintient en Condition Opérationnelle) arrive à échéance en 2013.

Quatrièmement, le système Harfang serait trop court sur patte. Par exemple, le numéro 26 de "Penser les Ailes Françaises" du CESA (Centre d'Etudes Stratégiques Aérospatiales) transpose les actes du colloque du 2 mai 2011 : "Du drone armé à l'UCAV : évolution ou rupture ?". Page 136 de la revue, il est possible de lire le témoignage du sénateur Jacques Gautier, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces Armées du Sénat. Le sénateur s'attache à présenter, en 2011, les avantages et inconvénients des deux solutions d'alors pour prendre la suite du système Harfang : soit ce qu'il nommait le "Harfang NG", soit le Reaper. Il est à noter que la solution de la francisation du Héron TP/Eagle 2/Volitgeur par Dassault Aviation n'était pas encore dans l'air. Ce qui est très intéressant, c'est le graphique proposée par le sénateur Gautier. Une tentative de reproduction de ce graphique vous est proposé :

Harfang-Reaper-Libye.png© Fonds de carte "Google maps". Remplissage le Fauteuil de Colbert.

Le sénateur nous permettait donc de vérifier qu'un drone de la classe des 4 tonnes (Reaper) avait manifestement une autonomie supérieure à un autre qui est de la classe des 1 tonne (Harfang).

Ce qui est parfaitement surprenant, c'est qu'il n'y aurait qu'à liquider l'expérience du système Harfang, notamment car il a une autonomie trop faible... Alors que ce graphique contient de manière implicite l'une des solutions possibles pour éviter de dilapider ce capital, sans même le passer par pertes et profits ! Quelle est l'une des caractéristiques majeures de l'opération Harmattan ? C'est que pendant cette opération militaire française, toute la puissance aérienne française est intervenue : Armée de l'Air, Aviation navale et Aviation Légère de l'Armée de Terre. Cette dernière est exclusivement intervenue depuis les Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Mistral et Tonnerre de la Marine nationale. Est-ce que les seules voilures tournantes de l'ALAT devraient intervenir depuis les ponts d'envol des BPC ?

Il y aurait deux manières de répondre au manque d'autonomie du système Harfang :
  • le ravitailler en vol via un aéronef ayant un profil de vol compatible avec le drone,
  • le déployer au plus près du théâtre, comme par exemple depuis un BPC.
Ces deux solutions imposent le recours à un programme d'études amonts et des études opérationnelles et technico-opérationnelles. Le ravitaillement aérien des drones aériens s'imposera comme une technique à maîtriser dans la mesure de leur prolifération au sein des Armées. Mais la faculté d'opérer des drones à voilure fixe à bord des ponts plats de la Marine nationale semble être une priorité primaire par rapport à l'autre capacité qui ne peut être que secondaire (ne pas mettre la charrue avant les boeufs : d'abord les drones, après les interactions entre aéronefs).

Le développement des solutions permettant d'opérer des drones à voilure tournante à bord des navires de la Marine est en cours. Il y a premièrement le drone école Camcopter S-100 de Schiebel qui a été le premier hélidrone à opérer automatiquement depuis un navire, la frégate Montcalm en l'occurence, en 2008 : c'était une première mondiale, ce qui démontrer que les retards constatés dans la maîtrise et le développement de systèmes de drones est tout sauf une fatalité. Mais il y aussi les essais et études (programme D2AD) de la DGA et de Thales avec le drone américain AH-6U qui se déroulent actuellement aux Etats-Unis, comme travaux préalables au programme SDAM.

La Marine est donc particulièrement en pointe dans la matière des drones à voilure tournante. La prochaine étape, ce sont les drones à voilure fixe car les avantages (qui surpasseraient les inconvénients) accordés aux drones MALE et UCAV imposent de réfléchir à leur utilisation par et depuis des plateformes navales. 

Dans cette optique, il y a deux ou trois grands avantages à extirper de la situation actuelle :
  • il y a un système de drones MALE, le système Harfang, qui va être abandonné par son actuel utilisateur... si quelque chose d'autre -qu'une prolongation et modernisation de ce système- est obtenue. C'est un système école, il a vocation à le demeurer.
  • Il y a les travaux de l'industriel Sagem en matière de drone MALE, le Patroller, dont les derniers développements pour dotés cet engin de capacités de surveillance maritime.
  • La coopération franco-américaine en matière de drones, par exemple, semble excellente, et il y a les travaux en cours de réalisation sur le drone X-47B pour qu'ils puissent réussir à apponter et être catapulté depuis le porte-avions Theodore Roosevelt
Il ne serait pas illogique que le système Harfang puisse servir dans les prochaines années à préparer l'un ou l'autre des deux systèmes de drones pressentis pour devenir essentiels aux Armées (les MALE et UCAV).

Le programme SDAM (Système de Drone Aérien de la Marine) est la déclinaison navale du programme mené plus ou moins conjointement avec l'Armée de Terre (Système de Drone Tactique). A l'heure actuelle, l'Armée de Terre priviligierait plutôt le développement d'un nouveau drone tactique à voilure fixe pour remplacer les SDTI : l'heureux élu serait le Watchkeeper de Thales. Ce drone serait acquis dans le prolongement de l'acquisition anglaise, afin d'avoir quelques éléments d'interopérabilités avec la British Army en vue de la création d'une force expéditionnaire franco-anglaise (traités du 2 novembre 2010).

Alors, ne serait-il pas d'un grand bénéfice pour la Marine et l'Armée de Terre que de coopérer sur une reprise commune du système Harfang ?
  • l'Armée de Terre pourrait se rôder à l'utilisation d'un système MALE de la classe des 1 tonne en attendant de recevoir un jour ses nouveaux drones tactiques aux caractéristiques comparables (un poids de 4 à 500 kg de masse maximale au décollage et l'impérieuse nécessité de recourir à une piste en dur).
  • La Marine nationale pourrait elle aussi se faire la main sur un système de drones MALE, ce qui lui ouvre deux possibilités de pratiques opérationnelles pour préparer l'avenir :
    • tenter d'opérer le système Harfang depuis un BPC,
    • tester l'intérêt d'un système de drones MALE pour la surveillance maritime avec le programme AVSIMAR dans le viseur.
    • L'apprentissage de la mise en oeuvre de drones à voilure fixe depuis une plateforme navale bénéficierait aux programmes de drones MALE et d'UCAV.
Une grande partie de ces suppositions repose sur les capacités intrinsèques du vecteur du système Harfang à supporter un appontage. Si jamais cela été possible, alors il y aurait un très grand intérêt opérationnel à réussir à opérer le système Harfang depuis les BPC. Depuis que la campagne Jeanne d'Arc prend place à bord d'un BPC chaque année, cela s'accompagne presque systèmatiquement de l'embarquement d'un pion de manoeuvrer aéroamphibie de l'Armée de Terre. Il s'agirait de déplacer ce pion de manœuvre le long de l'arc de crises, zone où le BPC en mission Jeanne d'Arc navigue désormais.

Donc, au final, confier le système de drones MALE Harfang à l'Aviation navale et l'Armée de Terre serait investir sur l'avenir, mais surtout, ce serait sur la période 2012-2020 permettre à la mission Jeanne d'Arc de disposer d'une capacité jugée essentielle aujourd'hui pour mener des opérations. La présence d'un drone MALE en accompagnement des soldats de l'Armée de Terre n'aurait-il pas été un avantage pour les opérations dans le Sahara, en Côte d'Ivoire, dans la Corne de l'Afrique ou pendant l'opération Harmattan ?

Le système Harfang a peut être encore une décennie de services à rendre avant de passer le relais, à l'horizon de l'année 2020, au système de drones MALE durable qui doit alors entrer en service opérationnelle : le fameux EuroMALE qui aura été attendu depuis 2010.

11 juillet 2012

2006-2012 : les capacités aéroamphibies de la Marine au service de la résolution des crises


© Marine nationale.

Depuis l'année 2006 jusque 2012, la Marine nationale a participé à plusieurs opérations ponctuelles, dont les opérations Balistes et Harmattan, tout en continuant à remplir des missions durables, comme les missions Jeanne d'Arc, Corymbe et la mission européenne Atalante. Les moyens mis en œuvre pendant cette période montrent combien la puissance navale française permet de participer au règlement des grandes crises internationales, et combien l'outil dont nous disposons est très précieux. Pendant ces six années, presque toutes les facettes des capacités de la Marine nationale ont été mises en oeuvre : même le groupe de guerre des mines est intervenu en Libye. La groupe aéronaval, le groupe amphibie et les ravitailleurs ont été très employés. La flotte de surface a eu un très bel effort à fournir pour que les escorteurs nécessaires aux opérations et missions soient disponibles, de même que dans les régions où il fallait assurer une présence navale (comme dans le Golf persique) alors que le nombre de frégates ne cesse de diminuer.

Il est proposé de s'intéresser plus particulièrement aux capacités mises en oeuvre depuis les navires de la force amphibie, en liaison avec la composante aérienne projetable (tel que défini dans le Livre blanc de 2008) qui repose aussi bien sur l'Armée de l'Air que sur l'Aéronavale.

2006 - Opération Baliste

Le dernier conflit israélo-libanais (12 juillet-14 août 2006) eu comme épisode une évacuation des ressortissants européens et étrangers du pays du Cèdre. La situation se dégradait si rapidement pour les résidents étrangers du Liban à cause de la montée en puissance des combats entre le Hezbollah et Tsahal. Il y alors au large du Liban la frégate Jean de Vienne et le TCD (Transport de Chalands et de Débarquement) Sirocco. La mission est d'évacuer les ressortissants français, au moins, entre le Liban et Chypre : l'opération Baliste est lancée.

Le Bâtiment de Projecton et de Commandement (BPC) a connu cette année là son heure de gloire -une gloire qui rejaillit sur toute la classe de navires (cinq unités actuellement, dont deux sont en construction pour la Russie). La configuration type d'un BPC, tel que décite par son constructeur, se compose de 450 hommes de troupe dans des conditions confortables avec en sus 16 hélicoptères (autant de Tigre que de NH90), des matériels roulants blindés et motorisés et une batellerie aujourd'hui composée de deux EDA-R (Engin de Débarquement Amphibie-Rapide).

Le Mistral est alors appelé, et il doit être prêt à appareiller pour le 15 juillet 2006 à renforcer ce dispositif. Mer et Marine consacre un large et très détaillé article au sujet de l'opération Baliste, grâce au récit fait par son commandant de l'époque, le capitaine de vaisseau Jubelin (les différentes citations qui suivent sont tirés de cet article ou d'autres articles de Mer et Marine). L'affaire est vraiment urgente car le navire revient d'essais : « après trois mois de TLD au cours desquels le Mistral a mené ses essais en eaux chaudes, jusqu'en Inde, l'été devait être consacré aux réparations, notamment des planchers défectueux : « Le bateau n'est toujours pas admis au service actif et il venait de terminer ses essais. Il y avait des pièces à changer et des dizaines d'appels à garantie à solder. C'était un véritable chantier. Dès le 3 juillet, la moitié de l'équipage était en permission ». Que cela ne tienne, l'équipage est au complet le 15 juillet et il aide à l'embarquement des différentes capacités qui vont être nécessaires dans les prochaines semaines : une antenne chirurgicale projetable, un groupe aéromobile (deux Caracal, deux Cougar, quatre Puma et Gazelle) avec un contingent de 650 hommes de troupe, épaulé par des AMX-10RC, VAB et VBL. Le navire accueil ses différents utilisateurs pendant les quatre à six jours de traversée entre Brest et le Liban.

Le dispositif naval français (soutenu également par des navires affrétés) doit évacuer au moins 12 000 civils. L'équipage du Mistral s'organise : « A vide, nous avions calculé que nous pouvions embarquer 4000 personnes pour un trajet de 8 heures, où nous n'aurions eu qu'à distribuer des casse-croûtes. Avec les troupes à bord, entre la compagnie du 2ème RIMA, l'échelon du Génie et leurs matériels, ce chiffre tombait à 1500, ce qui est déjà énorme », précise le commandant Jubelin"."Selon Frédéric Jubelin : « Sur une frégate on ne peut pas faire ça. Même sur un TCD récent comme le Siroco car, chargé de véhicules et de troupes, il n'y a pas la place ».

Les manoeuvres aéronautique et logistique sont tout aussi impressionnantes, et elles montrent bien qu'il y a eu un changement d'échelle entre les TCD et les BPC :
  • « Ce gain potentiel de place est également valable pour le hangar hélicoptères, long de 100 mètres. Conçu pour abriter 16 appareils lourds, il peut, en réalité, accueillir jusqu'à 35 Gazelle ! ». C'est une chose dite en 2006 qui surprendra en monde en 2011 lors de l'opération Harmattan.
  • « L'amphibie, avec un Ouragan, c'est très séquentiel. On envoie un hélico, on laisse 2 minutes de battement puis on envoie un CTM, puis un hélico après 2 minutes etc.... »
  • « Pour lancer un assaut héliporté [depuis le Mistral], on n'a pas à attendre. Grâce à l'ascenseur arrière, on peut déployer les pales avant l'arrivée de la machine sur le pont d'envol, ce qui permet de gagner un temps précieux. D'autre part, les grandes dimensions du navire nous permettent de préparer, pour une pontée de six hélicoptères, 70 à 90 gars avec leurs armes et leurs bagages dans la coursive du pont 6 (au niveau inférieur du pont d'envol). Nous avons calculé, pendant les exercices, qu'en une minute 45 ils étaient sur le pont, en 3 minutes dans les hélicoptères et en moins de 5 minutes, tout le monde était en l'air. C'est vraiment impressionnant ».
  • « On était à Beyrouth et nous devions, de manière concomitante, accueillir 1100 ressortissants, refaire des vivres et débarquer 450 palettes. Pour parvenir à sortir cette cargaison à temps, on a utilisé la grue aéro, les Fenwick par la porte de bordée latérale mais aussi la poutre à munitions. Avant d'arriver, les palettes avaient été disposées : 170 sur le pont d'envol, 230 en bas et 45 près de la poutre. Tout est sorti simultanément et, en même temps, je voyais le commissaire charger ses vivres par l'avant du navire ! C'est industriel et méthodique. En sommes, on ne bricole pas ». Pour le capitaine de vaisseau Jubelin, le BPC est une sorte de « rond point permanent qui ne s'arrête jamais. Au Liban, on ne stoppait pas, entre le chargement de fret, les évacuations, l'hôpital, les mouvements d'hélicoptères et les man?uvres amphibies ».
L'une des caractéristiques du Mistral qui permettait ces différentes réussites, c'est la large place disponible à bord, aussi bien dans les zones dédiées au stockage des matériels et des machines que dans les différentes coursives. La dynamique des flux a été très, très bien étudiée dans le navire, et cela explique largement sa réussite pour accomplir les différentes manoeuvres qui lui incombaient.

L'opérartion Baliste a été un franc succès, surtout pour le Mistral qui a été admis au service "actif" quelques semaines plus tard. Les TCD Ouragan et Orage sont avantageusement remplacés par les BPC dont le concept a bien évolué depuis les PH 75. Néanmoins, il ne faudrait pas que le succès du Mistral éclipse le rôle tout aussi crucial du recours à l'affrètement de navires civils pour suppléer les navires de la Royale : le nouveau contrat d'affrètement a été conclu avec la CMA-CGM.

2011 (janvier) - Crise ivoirienne et force Licorne

La crise ivoirienne se développe considérablement à nouveau quand le résultat des élections présidentielles ne permet pas de départager celui qui était alors l'actuel président, Laurent Gbabgbo, de son rival, Alassanne Ouattara. Le second candidat est reconnu comme le vainqueur des élections par communauté internationale alors que le premier est légitimé par le processus constitutionnel ivoirien.

Les combats reprennent en Côte d'Ivoire pendant plusieurs semaines, et le camp loyaliste finit par se réduire exclusivement à la capitale ivoirienne : Abidjan. Cette ville présente la caractéristique d'être au bord de la mer, et d'être constituée d'un archipel d'îles. La situation est si grave qu'elle impose de prévoir un plan d'évacuation des ressortissants. 15 000 personnes seraient à évacuer, mais heureusement pour elles, la situation n'a pas obligé à en arriver jusqu'à une telle mesure.

Depuis le 10 décembre 2010, le Tonnerre est au large d'Abidjan. Il relève le Sirocco pour servir à son tour dans le cadre de la mission Corymbe. La mission du Tonnerre commence notamment par un ravitaillement opérait par le pétrolier-ravitailleur néerlandais, qui revient alors de l'opération Atalante.

Du côté d'Abidjan, « Sur place, l'armée française compte la force Licorne et ses 900 hommes, basés au sud d'Abidjan. Les militaires disposent de véhicules blindés et d'un détachement d'hélicoptères composé de cinq Puma et trois Gazelle ».

Paris se refusait à intervenir dans la crise ivoirienne, dans un premier temps. Mais la France se résoudra à le faire pour accélérer le cours des évènements et hâter la fin de la bataille d'Adidjan. Les voilures tournantes de l'ALAT semblent ne plus intervenir que depuis le Tonnerre. C'est certainement pour que leurs activités ne soient pas surveillées par les forces loyalistes ivoiriennes comme cela aurait pu être le cas si elles étaient restées au sud de la capitale ivoirienne. Le Tonnerre présente alors ses capacités de Sea Basing, qui peuvent permettre aux forces d'opérer impunément depuis la mer, et tous aussi discrètement. Il est aujourd'hui avéré que c'est grâce à l'intervention de l'ALAT que la bataille d'Abidjan a été remportée de manière si décisive avec la capture de l'ancien président ivoirien.

Cette opération était certainement un cas d'école particulièrement heureux avant l'opération Harmattan qui allait voir le jour dans les prochains mois.

2011 (février-mars) - Crise libyenne

Cinq ans plus tard, les BPC vont pouvoir à nouveau montrer leurs capacités impressionnantes pour l'évacuation de ressortissants. Mais ce sera aussi la première fois que ces navires seront utilisés dans des opérations aéroamphibies à finalité guerrière. 

En 2011, la Marine nationale devait apporter son aide à l'évacuation par la mer de ressortissants égyptiens qui ont fui la Libye pour la Tunisie. La grande différence avec l'opération de 2006, c'est que la majeure partie des ressortissants étrangers seront évacués par la voie des airs, et donc par les différentes armées de l'air européennes et méditerranéennes.

Peu ou prou, c'est le dispositif naval de l'opération Baliste qui semble se reconstituer. Le Mistral part alors de Brest le lundi 28 février 2011 pour la campagne Jeanne d'Arc, avec la frégate Georges Leygues. La mission Jeanne d'Arc arrive alors à Toulon le samedi 5 mars 2011. Le Mistral doit embarquer, en plus des 135 élèves-officiers, un détachement de l'Armée de Terre qui doit aussi participer à la campagne Jeanne d'Arc.
Les deux navires doivent rejoindre la Tunisie afin de procéder à l'évacuation des ressortissants égyptiens pour les ramener à Alexandrie. Le groupe est attendu le 7 mars dans le port tunisien de Zarzis. Sauf la frégate Georges Leygues qui se fait alors remplacer par la frégate Tourville suite à une avarie qui lui impose un nouvel arrêt à Toulon. Finalement les 900 à 1000 ressortissants égyptiens sont évacués autrement, grâce à l'efficacité du pont aérien mis en oeuvre par l'Armée de l'Air et le Quai d'Orsay.
Le 7 mars, toujours, l'équipage du Mistral doit se contenter de débarquer 50 tonnes d'aides humanitaires pour la Tunisie. Le groupe Jeanne d'Arc reprend alors le chemin de sa mission, ce qui implique de passer le canal de Suez dans une zone en effervescence totale.

2011 - Opération Harmattan

Aux alentours du 18 mai 2011, le commandant du Tonnerre, le capitaine de vaisseau Ebanga, s'active avec son équipage pour réaliser une nouvelle manoeuvre logistique aussi impressionnante par le volume à embarquer que par le laps de temps très court pour l'effectuer. Le navire doit recevoir un groupe aéromobile d'une grosse vingtaine de machines : Tigre, Gazelle et Caracal constitueront un groupe d'attaque et un autre dédié au CSAR (Combat Sear And Rescue). Ce qui change par rapport aux opérations d'évacuations, c'est qu'il ne s'agit plus d'accueillir à bord et temporairement un grand volume de civils, mais bien d'embarquer de manière durable l'équipage et le groupe aéromobile embarqué, soit 700 hommes environ.

Le Tonnerre vient s'insérer dans une opération Harmattan qui peine à faire mieux que ce qu'elle a déjà réalisé en combinaison avec l'opération Unifed Protector. L'ensemble des structures militaires libyennes ont été balayées par les différentes vagues de bombardement qui ont frappé le territoire libyen. Il fallait désormais faire face à des troupes mobiles capables aussi bien de se disperser au sein des villes, campagnes et des populations pour se protéger que de se concentrer pour mener des raids contre les rebelles (une quelconque analogie avec la dissémination des Harrier sur le sol britannique dans les scénarios d'emplois de pendant la Guerre froide ?). Alors, il était nécessaire de descendre d'un cran dans l'usage de la puissance aérienne puisqu'il devait impératif :
  • de recourir à des armements ayant des effets collatéraux très faibles,
  • et avoir des unités capables d'évoluer au plus près des combats : c'est le rôle tout naturel de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre.
Le 3 juin 2011, les voilures tournantes de l'ALAT passent pour la première fois à l'attaque.

Le groupe Jeanne d'Arc, centré sur le Mistral, écourte sa campagne annuelle de deux bonnes semaines. Les navires arrivent à Toulon le 28 juin 2011. Le 10 juillet 2011, le Mistral appareille à nouveau de Toulon pour aller relever le Tonnerre.
Les deux navires vont alors effectuer une manoeuvre logistique relativement impressionnante puisqu'elle sera exécutée sans que les manoeuvres du groupe aéromobile s'arrêtent... alors que tous les deux à trois jours une nouvelle attaque était lancée depuis le pont d'un BPC. Le commandant de l'ALAT, le général de division Pertuisel, relatait ainsi au colloque de Mer et Universités sur les opérations aériennes pendant Harmattan que la manoeuvre s'était réalisée en pleine mer à l'aide des hélicoptères de manoeuvre et des chalands de débarquement.
Ce n'est pas sans rappeler les passages de PA1 à PA2 des anciens porte-avions Foch et Clemenceau. Ceux-ci avaient aussi connu un tel passage de témoins en pleine mer, au large du Liban. Cela illustre plutôt bien la capacité à durer des navires en la mer, voir des capacités de Sea Basing, et les nombreuses possibilités offertes par le fait de disposer d'un radier et d'un pont d'envol.

La relève se répétera en sens inverse les 9 et 10 septembre : « en fait, le transfert s'est opéré les 9 et 10 septembre en Sicile, dans le port d'Augusta. « Tandis que les Puma, Tigre et Gazelle du Groupe aéromobile (GAM) quittaient le pont d'envol (du Mistral), l'état-major de la Task force 473 (TF 473) et la majorité de l'équipage du navire, soit près de 200 personnes, mais aussi le fret, une centaine de tonnes de matériel, étaient acheminés à l'aide des chalands de transport de matériel transportés par les BPC. L'ensemble du transfert a nécessité 25 rotations d'hélicoptères et 14 norias de CTM ».

Les opérations en Libye ont validé l'utilisation du BPC comme base de projection de la puissance aéroterrestre depuis la mer. L'endurance des navires et la possibilité de les relever sur zone, voir en pleine mer ont même montré des capacités de Sea Basing. La faculté de permettre aux deux BPC de se relever sur zone permet des gains opérationnels très appréciables puisque les missions demeurent relativement courtes (à comparer avec les neuf mois de mer du Charles de Gaulle : missions Agapanthe et Harmattan).

La relève est un grand service rendu aux équipages :
  • ce qui évite de les écœurer de métiers où il faudrait choisir entre servir et avoir une vie en dehors du service, au point qu'ils quittent très prématurément les Armées.
  • C'est au grand bénéfice de la regénération des forces (leur remise en état opérationnel),
  • Cela permet aussi de diffuser à plus d'hommes et de femmes l'expérience opérationnelle.
  • La présence de la France dans le monde n'a pas été amoindrie. Quand un BPC servait au sein de l'opération Harmattan, le second était en campagne Jeanne d'Arc.
La situation de la composante amphibie semble avoir été relativement "confortable" puisque le Dixmude n'a pas été appelé à intervenir dans le dispositif avant son admission au service actif, contrairnement au Mistral en 2006.

Depuis 2006 et 2011, il y a un formidable capital opérationnel à préserver, à regénérer. Il n'y a pas tant que cela de marines dans le monde qui peuvent évacuer autant de ressortissants que conduire des manoeuvres aéronavales et aéroamphibies dans des coalitions militaires.

Avant de tenter d'évoquer la capitalisation de ces riches enseignements opérationnels, il est peut être bon de rappeler que le professeur Coutau-Bégarie rappelait dans l'un de ses derniers ouvrages -"Le meilleur des ambassadeurs - Théorie et pratique de la diplomatie navale"- que la Marine nationale ne défendait pas suffisamment devant les pouvoirs politiques (aussi bien l'Elysée que Matignon et surtout devant les deux chambres du Parlement) le fait qu'elle ait évacué depuis 1962 une bonne vingtaine de milliers de ressortissants français et étrangers de par le monde, par sa seule action. De 2006 à 2012, il y a un très beau bilan à défendre et à défendre partout où cela est possible.

Depuis la Libye, l'activité des BPC n'a pas diminué : bien au contraire puisque les trois navires, depuis l'arrivée en flotte du Dixmude, multiplie les exercices de part le monde.

Par exemple, il y a le cas du Mistral qui a participé à l'exercice Bold Alligator sur la côte Atlantique des Etats-Unis : « Pour la première fois, l'édition 2012 de l'exercice amphibie américain Bold Alligator a été ouverte aux membres de l'OTAN. Pour cette première, la France a été le seul pays européen à avoir accepté l'invitation de l'US Navy et de l'US Marine Corps en projetant aux Etats-Unis une force de projection. Du 23 janvier au 13 février, le Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) Mistral a, ainsi, opéré avec six navires amphibies américains placés sous la protection du porte-avions nucléaire USS Enterprise. Les unités terrestres françaises embarquées, dans le scénario prévu, avaient reçu pour mission d'entrer en premier sur un littoral hostile, afin de permettre l'arrivée des forces principales. Le lieu de la manoeuvre : la côte de Virginie, juste au sud de la base navale de Norfolk, et la Caroline du Nord au large de Camp River. Un terrain de manoeuvre tout proche finalement de la baie de Chesapeake et de Yorktown, là où se sont joués les épisodes décisifs de la guerre d'indépendance américaine. Plus de deux siècles plus tard, la coopération entre Paris et Washington s'est trouvée redynamisée par cette participation, d'autant que la France fait figure de leader européen de l'Alliance Atlantique suite à son retour dans le commandement intégré de l'OTAN, entériné en avril 2009 ». Cet exercice fut l'occasion pour les américains de vraiment découvrir le concept du BPC, à tel point qu'ils allèrent même le comparer avec les capacités de leurs LHD et LHA.

Pour transformer, peut-être, l'essai et diffuser les enseignements requis lors de l'exercice américain, le Mistral a participé à quatre jours d'exercices amphibies sur les côtes de Provence en France du 4 au 8 juin 2012. « Transportant 150 hommes et 34 véhicules de l'armée de Terre, dont des blindés, le bâtiment de projection et de commandement Mistral, armé par 177 marins, a été engagé, du 4 au 8 juin, dans un exercice de débarquement en Provence. L'objectif principal était d'entrainer les soldats de la 9ème Brigade d'Infanterie de marine, composée essentiellement par la compagnie d'éclairage et d'appui du 2e Régiment d'infanterie de marine du Mans. Le 7 juin, le débarquement est intervenu sur la plage de la Croix-Valmer, un nouvel engin de débarquement amphibie rapide (EDAR) étant mis en oeuvre à cette occasion, en plus des traditionnels chalands de transport de matériel (CTM). « Cet entraînement délicat s'inscrivait dans un scénario amphibie fictif ayant vocation à assurer l'évacuation de ressortissants français prisonniers d'un pays en proie à une rébellion armée », explique la Marine nationale ». 

Le Tonnerre est parti de Brest le 26 mars 2012 pour le golf de Guinée et la mission Corymbe. Traditionnellement, c'est un navire amphibie qui sert pour cette mission, sauf exception, comme pendant l'opération Harmattan où c'est la frégate La Fayette qui a relevé le TCD Foudre (qui a été vendu au Chili depuis). La mission Corymbe permet de coopérer pleinement avec les différents pays de la région avec un navire qui permet d'avoir aussi bien des capacités opérationnelles que diplomatique.
La mission Corymbe du BPC s'est achevée par des exercices avec la Marine Royale Marocaine. La coopération avec la marine marocaine est très soutenue puisque le GAn (Groupe Aéronaval) s'est également entraîné avec elle.

Le Dixmude qui a été livré à la Marine nationale 12 janvier 2012 ne démérite pas non plus. C'est depuis le 5 mars 2012 (sans que la mission Jeanne d'Arc parte depuis Brest, même si son retour se fera en Bretagne) que le navire mène la mission Jeanne d'Arc avec aussi bien avec les officiers-élèves de la Marine qu'un groupe tactique et aéromobile de l'Armée de Terre. Cette campagne d'application à la mer nouvelle formule doit durer cinq mois -à moins que des évènements racourcissent encore une fois sa durée, comme en 2011 avec l'opération Harmattan.
Cette mission Jeanne d'Arc a oeuvré au service de l'opération Atalanta du 23 mars au 16 mai 2012 (environ), date à laquelle où la frégate Georges Leygues et le Dixmude ont relaché en Afrique du sud (du 16 au 21 mai).
C'est pendant cette présence au large de l'Afrique que les deux navires se sont entraînés avec la marine saoudienne en mer Rouge.
Après le passage du Cap et l'escale sud-africaine, le Dixmude est allé s'entraîner avec la marine brésilienne du 5 au 11 juin. Ces six jours d'exercices permettaient aux deux marines de menaient des manoeuvres navales puisque les deux navires français oeuvraient avec deux frégates anti-sous-marines (Niteroi et Greenhalgh) et un pétrolier-ravitailleur (Alm Gastao Motta) brésiliens. Ces manoeuvres entre navires se sont doublées de manoeuvres aériennes entre les hélicoptères des différents bâtiments. Les voilures tournantes se sont qualifiées à l'appontage dans la marine hôte et vice-versa.Le Dixmude servait de navire de commandement grâce à un état-major embarqué franco-brésilien, ce qui a été utile pour coordonner les cinq navires franco-brésiliens, et ce qui allait être très utile pour les manoeuvres aéroamphibies. Il s'agissait d'une sorte de reproduction de l'exercice de débarquement de provence du Mistral qui se déroulait à peu près au même moment, mais à l'échelle de la coopération franco-brésilienne, ce qui complique forcément les choses.
De plus, « le 2 juillet 2012, à l’issue de la relâche opérationnelle du Dixmude à Abidjan, des manœuvres maritime et aéroterrestre ont été menées avec une très forte participation des détachements embarqués. Le Dixmude et ses détachements embarqués de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) et de la flottille amphibie (FLOPHIB) ont réalisé un entraînement conjoint avec les troupes et véhicules français de la force Licorne et les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire ».

La coopération avec les marines alliés a été, notamment, au coeur des programmes opérationnels des BPC. Ces activités permettent de montrer que notre marine peut intervenir conjointement avec d'autres marines car cela a été pratiqué par l'exercice et par échanges croisés de qualifications. Il y a aussi bien les pilotes d'hélicoptères français et brésiliens qui se qualifient chez la marine de l'autre, mais il y eu aussi les nombreux appontages de voilures tournantes américaines (Sea Stallion et Black Hawk). Sans oublier les nombreux embarquements d'engins de débarquement américains sur coussin d'air dans nos BPC. L'interopérabilité n'est pas un vain mot quand il faut intervenir dans le cadre de l'opération Harmattan avec d'autres marines, par exemple.

Les manoeuvres aéronavales et aéroamphibies franco-anglaises qui étaient au coeur des opérations Harmattan et Unifed Protector ont été voulues par les traités de Londres du 2 novembre 2010. Pour transposer ce qui avait été signé entre les deux pays, il y avait eu l'exercice franco-britannique Flandres 2011 qui s'était déroulé du 22 au 29 juin. Le but était de poser les jalons de la création d'une force expéditionnaire commune. Si les deux Royales ont l'habitude de travailler ensemble, il n'en allait pas de même pour les deux armées de terre. La prochaine étape sera-t-elle une sorte d'exercice Bold Alligator euro-otanien avec au coeur du dispositif Londres et Paris ? C'est en tous les cas souhaitable, et c'est le moins que l'on puisse faire quand l'on souhaite l'Europe de la Défense, l'OTAN ou les deux à fois.

Avec la remontée en puissance du porte-avions Charles de Gaulle en Méditerranée, et les très nombreux exercices menés par les BPC, il y a de quoi apprécier le grand professionalisme dont fait preuve les hommes et femmes de la Marine nationale pour préserver les savoir-faires acquis lors des opérations. De la simple mise en oeuvre simultanée des chalands et des hélicoptères depuis le pont d'un BPC jusqu'à la conduite d'une opération aussi complexe que Harmattan pendant le conflit libyen, tout est fait pour garder ces savoir-faires. Ils sont même remis au goût du jour avec l'exercice Bold Alligator qui a du tenir grandement compte ce qui s'est passé en Libye où la Marine nationale avait une place de choix. Cela a très certainement du intéresser au plus point l'US Navy et 'l'US Marines Corps. Si les forces armées américains précitées ont toutes deux participé au conflit libyen, c'était plutôt en ce qui concerne le soutien des opérations offensives et la logistique : une fois n'est pas coutume, ce sont les alliés de l'OTAN qui ont eu la primeur des opérations offensives, alors que c'était la primeur historique des Etats-Unis.
Mais les état-majors des armées a aussi fait en sorte que le capital d'expérience se diffuse au sein de toutes les unités des armées françaises appelées à intervenir dans le cadre d'opérations littorales (avec la participation des différents régiments et brigades lors des différents excices amphibies).
Enfin, il est appréciable que les BPC aient pu profiter des exercices avec les marines alliés pour exercer ce capital d'expériences avec d'autres et le conserver.

Si en 2006 la Marine nationale savait toujours mener des opérations aéronavales, aéroamphibies, et notamment d'évacuation massive de ressortissants, il faut bien relever que depuis six ans, la Marine a démontré qu'elle avait grandement élevé ces arts opérationnels à un niveau d'excellence enviable de part le monde. Les différentes évolutions qui touché l'arc de crise incitent à maintenir ces capacités à un haut niveau d'excellence, certes. Mais la mise en oeuvre de ces capacités, justement, ne s'invente pas du jour au lendemain. Le fait qu'il soit possible de mener ces opérations, c'est constater que les matériels et les ont été savamment conçus et développés depuis une trentaine d'années. Le classe de porte-avions Charles de Gaulle, le Rafale, les BPC, les actuelles et futures voilures tournantes, tout comme les chalands de débarquement sont des bons matériels qui servent bien aux missions qui sont demandées par le pouvoir politique aux armées.

A l'heure actuelle, la crise syrienne semble s'être développée suffisamment pour que la presse se fasse l'écho d'une possible préparation de la communauté internationale à une évacuation générale des ressortissants étrangers de Syrie. Bruxelles 2 répercute l'hypothèse de 200 000 personnes à évacuer. Le scénario ne serait pas le même que pendant le conflit israélo-libanais de 2006. Il y a deux grandes raisons à cela :
  • la première, c'est bien entendu le volume de civils à sortir de Syrie. Chypre servirait encore une fois de base-relais, et heureusement, vu le chiffre potentiel de personnes à évacuer.
  • Mais surtout, la crise prolongée fait que la Syrie pourrait interpréter des mouvements navals au large de ses côtes comme une agression, la préparation d'une agression ou des choses suffisamment inquiétantes pour agir.
Il y a des rumeurs persistantes (depuis une année ou presque) sur le débarquement de fusiliers-marins russes dans le port de Tartous pour participer à une évacuation des citoyens russes. Il semblerait qu'actuellement il y ait une concentration de vaisseaux russes à destination de la Méditerranée orientale. Tout comme il y a cet incident du RF-4E Turc abattu par la défense aérienne syrienne dans des conditions qui demeurent troubles. Abou Djaffar semble dire que cela pourrait être le signe de la nervosité des forces armées syriennes.

A l'heure actuelle, les Mistral, Tonnerre et Dixmude sont prêts, leurs équipages sont rompus à toutes ces manoeuvres. Le Groupe Aéronaval remonte en puissance et doit être plus ou moins opérationnel à l'heure actuelle. Si le potentiel aéronaval est moindre qu'avant le conflit de Libye, du fait que les forces et les stocks de pièces de rechange et de muntions n'ont pas pu entièrement se reconstituer, il faut relever que le potentiel amphibie est le triple de celui mise en oeuvre au Liban lors de l'opération Baliste.

De 2006 à 2012, la Marine nationale, parfois avec les alliés de la France, a démontré la maîtrise de capacités opérationnelles qui sont nécessaires pour agir dans l'arc de crises définit par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale de 2008. Les équipages armant les navires de la Marine qui constitue aussi bien le groupe aéronaval que le groupe amphibie ont montré qu'ils étaient aptes à mener les missions nécessaires pour entrer en premier sur un théâtre (Harmattan, 2011) pour combattre des forces armées ennemies, évacuer massivement des ressortissants (Baliste 2006) ou encore mettre en oeuvre une capacité de durer à la mer au service du règlement d'une crise (Côte d'Ivoire, Harmattan, 2011).

Pour pouvoir mener de telles missions, il faut autant être capabler de mettre en oeuvre les deux groupes, aéronaval et amphibie, séparément (Baliste, par exemple) que conjointement (Harmattan). Il faut aussi être capable de regénérer les forces mises en oeuvre pour qu'elles puissent encore et toujours répondre aux demandes du politique pour gérer une crise (et cela suppose un minimum de financement pour réparer les matériels et reconstituer les stocks de munitions).

C'est pendant ces six années que les forces armées françaises, et surtout la Marine nationale, ont pu montrer leurs capacités à répondre aux demandes du politique, à remplir le contrat opérationnel du Livre blanc de 2008 et à le faire "régulièrement". Par exemple, quand le Tonnerre revient à Toulon après avoir été au coeur du règlement de la crise ivoirienne, ce n'est que pour repartir quelques semaines plus tard pour l'opération Harmattan. La Marine a pu fournir les moyens en hommes et en navires pour être présent dans les crises où la France entendait participer à leur résolution. Cela a été possible sans trop perturber les autres missions qui sont dévolues à la Marine. Par exemple, la mission Jeanne d'Arc a été menée pendant l'opération Harmattan par le Mistral. Mais elle a du être écourtée de deux semaines. Si cela peut paraître négligeable, cela l'était moins d'apprendre que le nombre de sous-marine nucléaire d'attaque est trop faible pour et protéger la dissuasion et protéger les groupes aéronaval et amphibie réunis. Il manque toujours un second porte-avions pour intervenir d'une crise à l'autre dans une période où il faut juguler une série de crises locales dans l'arc de crise. Aujourd'hui il est heureux que le porte-avions soit disponible quand il le faut : c'est une chance, et cela tient en partie du hasard. Demain il en sera peut être tout autre, et il ne faudra pas rater le remplacement des bâtiments de commandement et de ravitaillement, celui des chasseurs de mines, et l'arrivée d'un quatrième BPC car il semble difficile de se passer des services de ce genre de navire.

06 juillet 2012

La marsupialisation dans la stratégie des moyens navals ? Exemples de la lutte anti-mines et des UCAV

http://www.netmarine.net/bat/bsm/loire/photo56.jpg http://www.ouest-france.fr/of-photos/2012/03/17/brXX_2009406_1_px_470_.jpg http://www.meretmarine.com/objets/500/29595.jpg
Le bâtiment de soutien Loire. © Inconnu. Le Céphée au retour de sa mission de dépollution en Libye. © DCNS. Le principe du Système de Lutte Anti-Mines Futur (SLAMF).

La marsupialisation est un concept au nom peu commun, en matière de stratégie navale, mais qui est très bien expliqué dans l'ouvrage de Joseph Henrotin : " Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle". "La marsupialisation implique de considérer le bâtiment comme une plateforme disposant d'une capacité d'action et/ou d'observation qu'il peut déporter" (page 197 de l'ouvrage). Tout le concept repose dans la possibilité de déporter les senseurs et vecteurs d'un navire.

27 juin 2012

Rafale M techniquement opérable en STOBAR : message pour Londres ? Suez inversé ?

© Alvis 3.1.
Il y a toujours des passionnés qui ne passent pas à côté de quelques détails concernant les programmes d'armements, surtout quand une information peut influencer considérablement la façon d'apprécier une situation et ses perspectives. Ainsi, le Portail des passionnés de l'Aviation relataient le 19 juin 2012 les tribulations du Rafale M STOBAR : "La maison Dassault a par ailleurs étudié l’emploi du Rafale à partir de navires dotés de tremplins, avec des performances d’emport forcément diminuées par rapport à l’utilisation d’une catapulte, et dépendant aussi du vent relatif créé par la vitesse de déplacement du navire ainsi que de la longueur du pont utilisé pour le décollage. Bien évidemment, les performances en questions restent du domaine du confidentiel. Il me semble même qu’à la fin des années 1980, celui qui devait être nommé le porte avion Richelieu (et qui deviendra Charles de Gaule) avait été étudié avec la possibilité de lui adjoindre un tremplin en lieu et place des catapultes".


06 juin 2012

Vers un "Carrier on board Delivery" multi-missions pour le Groupe Aérien Embarqué ?


© Jason Scarborough - U.S. Navy. Un C-2 Greyhound à bord du porte-avions Charles de Gaulle pendant la guerre en Libye.
L'un des trésors actuels de la Marine nationale, c'est son groupe aéronaval. En effet, et on ne se lassera pas de le dire pendant encore 10 ou 20 ans, la France est la seule marine au monde, avec l'US Navy, à être capable de mettre en oeuvre un ou des porte-avions. Toutes les autres marines, à l'heure actuelle, et jusqu'à preuve du contraire, mettent en oeuvre, tout au mieux, des porte-aéronefs.

04 juin 2012

Force opérationnelle atomique : croiseur-escorteur à propulsion atomique (1957 - 1975)

© Marine (ACORAM). « La frégate lance-engins F 60 Suffren », Marine, avril 1962.

     La reconstruction des forces légères (1952 – 1959) de la Marine nationale, sous la IVe République, par les programmes des escorteurs d'escadre (T47 (12), T53 (5), T56 1), escorteurs rapides (E50 (4), E52 (11), E52B (3) et escorteurs côtiers (classes Le Fougueux (3), L’Adroit (11), devait bénéficier – dans la continuité de l'effort naval consenti – par une série de croiseurs-escorteurs devant succéder aux huit croiseurs survivants de l'entre-deux-guerres et probablement les De Grasse (1956 - 1973) et Colbert (1959 - 1991). Le statut naval de 1955 disposait d’un programme de six « croiseurs-escorteurs » qui deviendront les deux « Frégates Lance-Engins » (FLE) classe Suffren (2). Et, dès 1957, se profilait une série complémentaire, ou bien se substituant partiellement à la cible de la précédente, de « croiseurs-escorteurs à propulsion atomique ». Ce projet aurait survécu jusqu'en 1975 : malgré son absence de citation dans le Plan bleu (29 février 1972). 

     La Marine nationale, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale (1er septembre 1939 - 2 septembre 1945), héritait d'un ensemble disparate de bâtiments d'avant-guerre survivants, auxquels s’ajoutait les cessions dues par les vaincus : soit environ 400 000 tonnes de bâtiments de combat et de soutien ; à comparer aux près de 800 000 tonnes existants avant le déclenchement de la guerre. 

     La « servitude technologique » (Amiral Raoul Castex, Théories stratégiques) imposait, à la Marine nationale, de relever quatre défis techniques majeurs, afin de demeurer une force navale de 1ier rang, sous peine dans le cas contraire d'être déclassée vis-à-vis des autres marines. L’outil naval, pour demeurer cohérent avec les objectifs diplomatiques de la Reconstruction, devait donc s’emparer des voies techniques suivantes : les radars, pour lesquels la France avait pris beaucoup de retard dans l'entre-deux-guerres ; les « engins » (missiles), l'arme atomique et la propulsion nucléaire navale. Le cas particulier de l'arme atomique ouvre la voie à une nouvelle bataille institutionnelle entre les trois armées. L'Armée de l'air bénéficie du deuxième poste du budgétaire de la Défense nationale depuis 1949, reléguant la Marine nationale à la troisième place. 

     Les contingences de l'après-guerre obligèrent à un aménagement des priorités. En l'espèce, entre 1944 et 1961, c’est-à-dire entre la reprise en main du territoire national et la reconstitution d’une « ligne de bataille » (entrée en service du porte-avions Clemenceau (1961 – 1997), les priorités de la programmation vont aller à un « phasage » de l'effort, en trois temps :

  • reconstruction des bases navales et arsenaux et acquisition d'une capacité aéronavale, 
  • reconstruction des forces légères dans le cadre de l’Alliance atlantique et de l'OTAN, 
  • introduction des engins et de la propulsion navale atomique par des croiseurs.

La création de l'Alliance atlantique (traité de l'Atlantique Nord, 4 aril 1949) et de l’OTAN, participait à la structuration de la programmation navale française : l’effort se portait sur les forces légères. Les torpilleurs, contre-torpilleurs et submersibles, hérités de la dernière flotte de la IIIe République, façonnée dans l’entre-deux-guerres par la figure tutélaire de Georges Leygues (16 novembre 1917 - 2 septembre 1933), ne sont plus en nombre suffisants et considérés comme modernes. Ces unités sont peu à peu remplacées (1952 - 1959) par les programmes des escorteurs d'escadre de 2500 tonnes (T47 (12), T53 (5), T56 1) – ultime évolution des contre-torpilleurs classe Mogador (CV (H) Max Moulin) – , escorteurs rapides de 1500 tonnes (E50 (4), E52 (11), E52B (3) et escorteurs côtiers de 600 tonnes (classes Le Fougueux (3), L’Adroit (11).


 Classe
Duguay-Trouin 

 Classe
Suffren 

 Classe

Duquesne 

Croiseur mouilleur de mines  

Classe
La Galissonnière 





Duguay
-Trouin
(1926 – 1952)

 



   Suffren
1930 – 1947) 



  Duquesne

(1928 - 1948)

Tourville
(1928 - 1947) 

 

  

Émile-Bertin

(1935 – 1959) 

 Montcalm
(1937 – 1957)

Georges Leygues
(1937 – 1959)

Gloire
(1937 – 1955)  

Caractéristiques nautiques 

Longueur

181,3 m 

194 m 

191 m 

177 m 

179 m 

Largeur

17,5 m 

19,1 m 

19 m 

15,9 m 

17,5 m 

Tirant d’eau

6,3 m 

6,3 m 

6,3 m 

5,4 m 

5,3 m 

Tonnage lège

7500 t 

10 160 t 

10 160 t 

5890 t 

7600 t 

Tonnage pleine charge

9500 t 

12 780 t 

12 200 t 

8480 t 

9120 t 

Vitesse (nœuds)

33 

32 

33,75 

40,2 

32 

Propulsion (CV)

102 000 

100 000 

120 000 

102 000 

84 000 

Autonomie (mn)

3000 à 15 nœuds 

4500 à 15 nœuds 

4500 à 15 nœuds 

6000 à 15 nœuds 

6800 à 14 nœuds 

Caractéristiques opérationnelles

Anti-sous-marin

200 mines 

Anti-surface

4 x II 155 mm

3 x IV TLT 

4 x II 203 mm

2 x III TLT 

4 x II 203 mm

2 x III TLT 

9 x III 152 mm

2 x III TLT 

9 x III 152 mm

2 x II TLT 

Anti-aérien

4 x 75 mm 

8 x 90 mm

8 x 37 mm

12 x 13,2 mm 

8 x 75 mm

8 x 37 mm

4 x II 13,2 mm 

1 x II 90 mm
2 x I 90 mm

4 x II 37 mm

4 x II 13,2 mm 

4 x II 90 mm

6 x IV 40 mm 

     L'ossature de la Flotte étant en voie de reconstitution puisque les programmes précités d’escorteurs bénéficiaient d’une phase d’industrialisation tournant à plein, l’effort naval pouvait alors engageait la troisième priorité au prisme des exigences de la « servitude technologique » : l’introduction des engins, de la propulsion navale atomique – grâce à des « croiseurs » plus tard rebaptisés « frégates » – et de l’armement nucléaire. 

     La lutte anti-sous-marine, au prisme des tactiques opérationnelles hérités de la Deuxième Guerre mondiale, s’appuyant sur les évolutions de l’ASDIC (Anti-Submarine Detection Investigation Committee) et de l’intégration de ces antennes aux sous-marins eux-mêmes, les nombreuses recherches consenties pour les torpilles, les nombreuses avancées en matière de construction sous-marine offraient une nouvelle dynamique, au prisme d’une nouvelle menace – la large expansion de la Flotte rouge (URSS) et en particulier de sa flotte sous-marine – , obligeant à maintenir l’effort naval.

Le 2 août 1951 était commandé le futur SSN-571 USS Nautilus (1955 – 1980). La quille était posée le 14 juin 1952 et le bateau lancé le 21 janvier 1954. Son admission au service actif, le 17 janvier 1955, s’illustrait par l’émission radio d’un compte-rendu mythique dans l’histoire navale, à 11h00 : « underway on nuclear power ». Révolution navale totale qui parachèvait l'apparition de la propulsion à vapeur, dépendant jusque-là des énergies fossiles : la propulsion navale nucléaire n'a plus comme limite que la résistance de l'équipage. 

     L’apparition des jets rendait obsolète la lutte anti-aérienne aux seuls canons, malgré les nombreux efforts – même après la fin du dernier conflit – pour intégrer les conduites de tir radar à de nouveaux modèles de tourelles automatiques et asservies à ces dernières. L'Operation Bumblebee ou Bumblebee Project (1942 – 1965) lançait la famille de missiles des trois « T » : SAM-N-6/RIM-8 Talos, SAM-N-7 Terrier/RIM-2Terrier, et RIM-24 Tartar, auxquels viendront s’ajouter plus tard les Typhoon et SAM-N-8 Typhon LR/RIM-50A et SAM-N-9 Typhon MR/RIM-55A, bien qu’ils n’appartiennent pas formellement aux trois « T ». 

Le BB-41 USS Mississippi (1917 – 1956) fut reconstruit au chantier naval de Norfolk, entre novembre 1945 et avril 1948, remplaçant, le BB-32 USS Wyoming (1912 – 1947), en avril 1947, en tant que « navire-école anti-aérien » mais également dans la force de développement opérationnel, effectuant des tests de tir et aidant à évaluer de nouveaux systèmes d'armes. Dès le 9 août 1952, les travaux quant à l’installation de deux rampes doubles pour missiles anti-aériens SAM-N-7 Terrier, par enlèvement de la tourelle n°4 (tourelle arrière triple de 14-inch/50-caliber gun), furent achevés, au chantier naval de Norfolk : devenant l’EAG-128 USS Mississippi (1917 – 1956). Les premiers tirs d’essai du SAM-N-7 Terrier (nouvelle nomenclature en 1963 : RIM-2 Terrier) étaient effectués dès 1953. Et le vénérable cuirassé quittait le service en 1957. 

Le 1er novembre 1955, le croiseur CA-69 USS Boston (1943 – 1970) devenait le premier bâtiment de combat, au monde, à bénéficier de l’intégration à son armement d’ « engins », lui valant alors d'être classé « CAG-1 ». La tourelle arrière de 203mm était remplacée par une rampe double SAM-N-7 Terrier (48 km). 11 autres croiseurs « canons » seront convertis de la même manière entre 1955 et 1962.

15 octobre 1956, était commandé le premier bâtiment de surface à propulsion atomique : le futur CLGN-160 USS Long Beach (1961 – 1995). La quille était posée le 2 décembre 1957 et la coque lancée le 14 juillet 1959. L’admission au service actif fût prononcée le 9 septembre 1961.

Son armement anti-aérien se composait, à son entrée en service :

  • 1 x système RIM-8 Talos (3 × Mk 7, 1 × Mk 12 GMLS, 8 × AN/SPG-49 radar) composée d’une rampe double (40 missiles (~150 km)) disposée à l’arrière ; 
  • 2 x systèmes RIM-2 Terrier (4 × AN/SPG-55), composés de deux rampes doubles bénéficiant chacune de 120 missiles (48 km) en magasins, disposés à l’avant. 

Armement anti-sous-marin reposait : 

  • 1 x système RUR-5 ASROC (Anti-Submarine ROCket).

Le CLGN-160 USS Long Beach (1961 – 1995) fut suivi par les :

  • DLGN-25 Bainbridge (1962 – 1996), seul croiseur à propulsion atomique de classe Leahy (9) et constituant une sous-classe à part entière ; 
  • DLGN-35 Truxton (1967 – 1995), seul croiseur à propulsion atomique de la classe Belknap (9) et constituant une sous-classe à part entière ; 
  • DLGN-36 California (1974 – 1999) et DLGN-37 South Carolina (1975 – 1999), deux croiseurs à propulsion atomique de classe California (2) ; 
  • CGN-38 USS Virginia (1976 - 1994), CGN-39 USS Texas (1977 - 1993), CGN-40 USS Mississippi (1978 - 1997), CGN-41 USS 1997Arkansas (1980 - 1998) de classe Virginia (4) dont la cinquième unité devait préfigurer un croiseur AEGIS à propulsion nucléaire (CGN-42).

     La Marine nationale a été lourdement influencée par la programmation navale et les choix technologiques des États-Unis d’Amérique, et plus particulièrement de l’US Navy puisque fut lancé, dès 1954, le programme d’un sous-marin à propulsion atomique – Q244 -, des avant-projets de bâtiments de surface à propulsion nucléaire perdurant jusque dans les années 1980 et un ensemble de programme d’engins (MARURCA, MASURCA, MASALCA, MALAFACE et MALAFON).

En ce qui concernait les croiseurs, les avatars de cette catégorie de bâtiments de combat sont, en 1945, les huit croiseurs ayant survécu au dernier conflit mondial, vis-à-vis des dix-huit lancés et en service en 1940. Ils rendaient alors encore de fiers services, bien qu’ils étaient en voie d’obsolescence avancée face aux premières unités pourvues d' « engins » et donc définissant le « moderne », instiguant un nouveau nivèlement de la hiérarchie navale. Dans le cadre de la troisième priorité énoncée, la Marine nationale étudiait les avant-projets de plusieurs bâtiments de surface, catégorisés comme « croiseurs » dans le cadre de la « Force opérationnelle atomique » : 

     MM. Philippe Quérel (Vers une marine atomique - La marine française (1945 - 1958)) et Patrick Boureille (La marine française et le fait nucléaire (1945 - 1972)) narrent dans leurs travaux de thèse la naissance du sous-marin atomique français. Le Statut naval de 1955 définissait la demande d'un tonnage global de 540 000 tonnes de bâtiments de guerre qui se répartit comme suit :

  • 450 000 tonnes de bâtiments de combat, 
  • 20 000 tonnes de bâtiments amphibies, 
  • 70 000 tonnes de bâtiments auxiliaires.

     La Marine souhaitait se dégager du rôle qui lui était alors progressivement assigné : c'est-à-dire réduite à se disperser lors des premières frappes atomiques puis à se concentrer sur la protection des convois traversant l'océan Atlantique et des débarquements. Au contraire, elle souhaite tirer tout le parti des tranches navales à venir de la deuxième phase du statut naval afin de repositionner une partie de ses futures capacités opérationnelles sur un appoint naval à la future force de représailles. Ce besoin est étalé en trois deux phases :

  • La première (360 000 tonnes) devait atteindre les objectifs définis en termes de tranches navales en 1963. 
  • La deuxième phase (180 000 tonnes) serait atteinte, quant à elle, en 1970. 
     En ce sens, l'Amiral Nomy - chef d'état-major de la Marine (26 octobre 1951 - 1er juillet 1960) - rédigeait un rapport, en date du 20 octobre 1956, à l'attention du ministre de la Défense nationale et des forces armées, M. Maurice Bourgès-Maunoury, portant demande d'inflexion du Statut naval de 1955 (Patrick Boureille (La marine française et le fait nucléaire (1945 - 1972), thèse, annexes, p. ). 
 
Il vantait les mérites de la propulsion atomique comme démultiplicateur de la valeur militaire des navires de surface et sous-marin. L'atome confère une autonomie presque illimitée qui accroît sans commune mesure les mobilités tactique et stratégique. Il demande une vitesse d'ensemble de 40 nœuds et que les navires soient équipés de la même tranche réacteur (puissance de 60 000 CV). Il y aurait eu à bord autant de tranches que nécessaire pour atteindre la puissance désirée. 
 
     Il ne s'agissait ni plus ni moins que de constituer une force navale dotée d'engins atomiques, similaire par sa structure et ses bâtiments, à un « strike group » américain. La vitesse visée devait permettre de marcher à la même vitesse que les futurs bâtiments de l'US Navy et donc permettre à la France de peser dans l'Alliance atlantique et donc au sein des travaux discutés à l’OTAN grâce à cette capacité navale nouvelle. 
 
L'un des premiers vecteurs nucléaires était alors le missile de croisière Regulus I (500 nautiques de portée). Il embarquait sur 4 croiseurs, 10 porte-avions (occasionnellement, en réalité) et 5 sous-marins. En France, il semblait alors possible de disposer à l'échéance de la réalisation de cette partie du programme naval d'un missile balistique d'environ 3000 km de portée. 
 
     Cette force opérationnelle atomique telle que conçue en 1956 devait comprendre les bâtiments suivants (le vocabulaire est du CEMM) : 
  • 2 sous-marins stratégiques (Q244, une deuxième unité) ; 
  • 4 sous-marins tactiques d'accompagnement ; 
  • 2 « Capital-Ships » :
    • soit deux porte-avions stratégiques (2 x 30 000t ; 4 réacteurs chaque),
    • soit deux croiseurs lance-engins de destruction massive (2 x 15 à 20 000t ; 2 réacteurs chaque) ; 
  • 6 croiseurs escorteurs (6 x 5 ou 6000t ; 1 réacteurs chaque) ; 
  • 2 bâtiment-ravitailleurs (2 x 10 000t).

     Dans cette perspective, l'Amiral Nomy proposait de modifier la programmation au sujet de la deuxième phase du plan naval, devant être achevée en 1970 : sur les 180 000 tonnes, 120 000 serviraient à la constitution de la « force opérationnelle atomique » tandis que 60 000 seraient constituées de bâtiments de soutien.

Le CEMM propose alors deux périodes triennales (1961 - 1963 ; 1964 - 1966) par lesquelles seront commandés, au sein de chacune : un porte-avions ou croiseur lance-engins, trois croiseurs escorteurs, deux sous-marins atomiques et un bâtiment base atomique.

Cette programmation semble avoir été adaptée par un document du 7 novembre 1958 qui établissait deux plans quinquennaux (1959 - 1964 ; 1965 - 1969) qui devaient très probablement achever les 180 000 tonnes pendantes du Statut naval de 1955. Et il s'agissait peut-être de s'adapter à la future Loi de programme à la période quinquennale dont il était peut-être d'ores et déjà question dans les coursives, en 1958. 

     Les six croiseurs escorteurs lance-engins visaient peut-être le remplacement des croiseurs survivants de l'entre-deux-guerres (8), voire celui croiseurs anti-aériens De Grasse (1956 - 1973) et Colbert (1959 - 1991). L'Amiral Nomy affirmait qu'il fallait « les construire plus gros et plus cher » – par rapport aux escorteurs – car il était jugé plus productif d'avoir des escorteurs polyvalents et hauturiers, pourvus de plusieurs types d'engins pour autant de domaines de luttes.

Un avant-projet de « croiseur léger d'Union Française » était arrêté en 1956. Le déplacement lège atteignait 5 000 tonnes. Dès 1957, le croiseur léger d'Union Française devenait « croiseur-escorteur » : c’était la conséquence directe du rapport, en date du 20 octobre 1956, de l'Amiral Nomy car ce dernier précisait que ce « croiseur-escorteur doit faire la soudure avec des bâtiments à propulsion nucléaire qui doivent apparaître vers 1970 » (Jean Moulin, Les frégates Suffren et Duquesne, Rennes, Marines éditions, 1998, p. 11).

Le 4 novembre 1959 : l’avant-projet évoluait de nouveau puisque le futur croiseur bénéficiait d’un déplacement lège porté à 5 700 tonnes. L’avant-projet de « croiseur C60 » figé en 1960 reprend l'essentiel de ses caractéristiques. 

La série de six croiseurs escorteurs initialement visée fut ramenée à cinq croiseurs C60. La loi-programme (1960 – 1965) du 6 décembre 1960 réduisait encore la cible, de cinq à seulement trois croiseurs C60. Et, finalement, en 1964 : l'enveloppe budgétaire met en balance la troisième « Frégate Lance-Engins » (FLE) classe Suffren (2) et 42 Vought F-8E (FN) Crusader. Le Président De Gaulle consulta son fils d'Amiral qui lui conseilla de trancher en faveur des intercepteurs plutôt que de maintenir la série C60 à trois bâtiments.


CAA 

Croiseur léger
d’Union française 

Croiseur-escorteur 

Croiseur ?

Croiseur C60


Colbert (1959 – 1991) 

1956

1957

1959

Suffren (1969 – 2001)
Duquesne (1970 – 2007)

Caractéristiques nautiques 

Longueur

180,5 m 

?

158 m

Largeur

20,3 m 

?

15,6 m

Tirant d’eau

5,8 m 

?

7,2 m

Tonnage lège

8636 t 

5000 t 

5700 t

5700 t

Tonnage pleine charge

11 093 t 

6400 ? 

7300 ?

7380 t

Vitesse (nœuds)

33,7 

?

34

Propulsion (CV)

86 000 

?

72 500

Autonomie (mn)

4000 à 25 nœuds 

?

5130 à 18 nœuds

Caractéristiques opérationnelles 

Anti-sous-marin

1 x LOFAR

 

1 x mortier 305 mm 

?

DUBV-23D-1

 

DUBV-43B

1 x système MALAFON

4 x CLT

Anti-surface

3 x 100 mm

 

1 x système MALAFACE 

?

2 x 100 mm

 

4 x MM38 Exocet

Anti-aérien

8 x 127 mm

10 x 57 mm

1 x système MASALCA

 

2 x systèmes MASURCA 

?



1 x système MASURCA


      Le croiseur-escorteur, devenu croiseur C60, n’était donc qu’une série de « transition » devant préparer l’introduction de la propulsion navale nucléaire sur bâtiment de surface, en débutant par « le prototype d'un nouvel escorteur si possible à propulsion atomique » dont l’entrée en phase de réalisation devait être consentie durant la période 1965 – 1969, c’est-à-dire durant le deuxième plan quinquennal – nouveau paradigme des lois-programmes -, repoussant légèrement l’achèvement du Statut naval de 1955, révisé par
un rapport de l’Amiral Nomy, en date du 20 octobre 1956, à l'attention du ministre de la Défense nationale et des forces armées, M. Maurice Bourgès-Maunoury. 

Aucune caractéristique détaillée n'a pu être trouvée – à la date d’écriture de ces lignes – quant aux qualités nautiques et caractéristiques opérationnelles envisagées pour ce projet de nouvel escorteur « si possible à propulsion atomique ». Toutefois, il est possible de dessiner à grands traits une hypothèse de ce à quoi il aurait pu ressembler. 

Il s’agit de considérer que la « Force opérationnelle atomique » reprend une grande partie des choix de l’US Navy, et c’est pourquoi pour cet escorteur à propulsion atomique, le CLGN-160 Long Beach a pu être logiquement une source d’inspirations. Et dans cette perspective, il aurait logiquement hérité des choix arrêtés quant aux avant-projets exposés (ci-dessus) et ceux à venir durant les années 1960 (croiseurs C60 et C67).

L’escorteur à propulsion atomique aurait pu avoir une coque allongée, élargie et approfondie, mais faisant l'économie des soutes à combustible !, afin de pouvoir intégrer une chaufferie nucléaire, c’est-à-dire la filière du Prototype A Terre (PAT) – conçue et destinée aux SNLE classe Le Redoutable (6) – puisque c’était la seule à disposition dans la période considérée.

En ce qui concerne l’armement, le programme MASALCA (1953 – 1958) – envisagé pour le croiseur-escorteur (1957) – n’avait jamais été conçu pour aboutir à un système opérationnel. Aurait-il été demandé d’intégrer deux systèmes MASURCA, ainsi qu’une suite radar analogue à celle des « Frégates Lance-Engins » (FLE) classe Suffren (2) ? Cela aurait été cohérent avec l’architecture de force visée pour la « Force opérationnelle atomique », ainsi que pour la constitution de la force aéronavale.

L'absence de hangar aéronautique sur les C60 et C67 aurait probablement été corrigée sur pareil avant-projet. Cela aurait induit quelques contraintes architecturales quant à la disposition de l’armement, à savoir concentrer l’artillerie et les systèmes anti-aériens à l’avant ou bien concilier un hangar plus en avant, afin de libérer l’arrière du bateau au profit, d’au moins, un système MASURCA.


Croiseur-escorteur

Croiseur C60

Escorteur à
propulsion atomique

CLGN-160


1957 

Suffren (1969 – 2001)

Duquesne (1970 – 2007) 

6 bâtiments ?

 USS Long Beach
(1961 – 1995) 

Caractéristiques nautiques 

Longueur 

158 m 

~ 190 m ? 

219,9 m 

Largeur 

15,6 m 

~ 20 m ? 

21,8 m 

Tirant d’eau 

7,2 m 

~ 9 m ? 

9,3 m 

Tonnage lège 

5000 t 

5700 t 

~ 8000 t ? 

15 000 ? 

Tonnage pleine charge 

6400 ? 

7380 t 

~ 10 160 ? 

17 500 t 

Vitesse (nœuds) 

34 

30 ? 

30 

Propulsion (CV) 

72 500 

80 000 ? 1 x réacteur PAT ? 

80 000 2 x réacteur C1W 

Autonomie (mn) 

5130 à 18 nœuds 

∞ 

∞ 

Caractéristiques opérationnelles 

 

 

 

Anti-sous-marin 

1 x LOFAR

 

1 x mortier 305 mm 

DUBV-23D-1

 

DUBV-43B

 

1 x système MALAFON

 

4 x CLT

DUBV-23D-1

 

DUBV-43B

 

1 x système MALAFON

 

4 x CLT

 

 

 

 

1 x système ASROC

 

2 x III TLT 

 

Anti-surface 

3 x 100 mm

 

1 x système MALAFACE 

2 x 100 mm

4 x MM38 Exocet 

2 x 100 mm ?

6 – 8 x MM38 Exocet

2 x 127 mm

8 x RGM-74 Harpoon 

 

Anti-aérien 

1 x système MASALCA

2 x systèmes MASURCA 

1 x système MASURCA 

2 x système MASURCA ? 

1 x systèmes Talos

 

2 x systèmes Terrier 

     L'escorteur à propulsion atomique semble avoir un des avant-projets de bâtiments de surface à propulsion nucléaire, en mettant de côté les PH75 et PA75 issus du « Plan bleu », énoncé par le décret du 29 février 1972. Et dans cette perspective, la corvette nucléaire C75 semble être l’ultime avatar connu d’un escorteur mu par l’énergie d’une chaufferie nucléaire.

Les croiseurs devinrent « frégates ». Le 6 juin 1988, l'Amiral Bernard Louzeau, alors chef d’état-major de la Marine (30 janvier 1987 - 19 novembre 1990) reclassait les bâtiments de la flotte de surface :

  • déplacement de moins de 3000 tonnes, il s'agissait désormais de « patrouilleurs » et d'avisos ; 
  • déplacement de plus de 8000 tonnes il s’agissait désormais de croiseurs et de porte-aéronefs.