Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





17 mars 2015

Entretien avec le vice-amiral Vichot – Le Pacifique français au premier tiers du XXIe siècle




Né le 27 mars 1955 à Paris. Après une classe préparatoire dans la capitale, il intègre la promotion 1974 de l'Ecole navale. A l'issue de la campagne d'application à la mer qui lui permet de découvrir le Pacifique pour la première fois, il est affecté en 1977 sur le patrouilleur Canopus au Sénégal puis aux Antilles. En 1979, Jean-Louis Vichot retrouve la métropole dans les forces sous-marines à bord des sous-marins classiques La Praya et Argonaute. Il commande en 1980 le dragueur côtier Eglantine puis retourne aux forces sous-marines 9sous-marins Béveziers, Flore, Doris, Saphir, Rubis). En 1989, il commande l'équipage Rouge du SNA (Sous-marin Nucléaire d'Attaque) Rubis puis l'équipage Bleu du SNA Casabianca. Après quelques affectations à Paris et sur le SNLE Le Tonnant, il commande de 1999 à 2001 l'équipage Bleu du SNLE (Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins) Le Téméraire. En 2008, après un séjour à Naples, il devient le commandant supérieur des forces armées en Polynésie, il dirige en 2010 le Centre d'Etudes Stratégiques de la Marine (C.E.S.M.) et achève en décembre 2012 sa carrière de marin d'active en tant que chargé des relations internationales auprès du CEMM. 

Le Pacifique français est un joyau de l'Archipel France. Seules terres européennes dans cet océan, si l’on excepte la minuscule ile britannique de Pitcairn, il regroupe 23 300 km² de terres émergées pour 6,9 millions de km² de Zones Economiques Exclusives (Z.E.E.) soit plus de la moitié du domaine maritime français. Avec plus de 500 000 citoyens français sur un sol français et 120 000 citoyens enregistrés auprès des consulats français des nations du Sud-Est asiatique, cette région rassemble plus de nationaux que l'Afrique et bénéficie d'une francophonie, elle-aussi, dynamique. Comment expliquer le peu d'intérêt porté à cet espace d'avenir ?

La première raison est sans aucun doute l’ignorance. La France des antipodes est très peu connue des métropolitains. Pays d’outremer, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie ont très rarement les honneurs de la télévision métropolitaine, ne serait-ce que pour évoquer le temps qu’il y fait! Les départements d’outremer sont souvent mieux servis. Ce sont des pays qui font rêver mais que bien peu de nos compatriotes savent placer sur une carte. Et pourtant ces iles sont des atouts précieux pour la France. Des atouts précieux au niveau diplomatique, culturel et économique. La France est ainsi, grâce aux plus de 500 000 français qui vivent dans le Pacifique sur un territoire français, la seule nation européenne du Pacifique. Cette population conséquente, la surface des territoires et des eaux sous souveraineté nationale, les richesses halieutiques et minières actuelles et en devenir font de la France un Etat qui compte en Océanie. Associant souvent les représentants de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis et Futuna à leurs travaux, les ambassades du Pacifique Sud dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Samoa ou le Chili ont su étendre l’influence française dans cette partie du monde en particulier depuis la fin des essais nucléaires. La France est un facteur de stabilité important du Pacifique Sud qui contribue à protéger les ressources locales et l’environnement contre toutes les activités prédatrices.  Ces territoires constituent aussi des points d’appui qui permettent aux moyens navals, réduits mais toujours présents, de montrer le pavillon dans cet Océan Pacifique, océan du XXIème siècle. D’un point de vue économique, ces territoires ont des situations différentes, tous profitent d’activités touristiques, mais en Nouvelle-Calédonie, la principale richesse demeure le nickel tandis qu’en Polynésie et à Wallis et Futuna, les richesses minières des fonds marins sont encore en cours d’exploration, même si la situation est plus avancée à Wallis et Futuna. La pêche et la culture des perles sont des activités importantes en Polynésie mais elles souffrent de l’éloignement des  lieux de vente qui ne peut être compensé que par un constante recherche de qualité. 

Nos territoires dans le Pacifique voyaient leurs moyens militaires réduits de moitié depuis 2008 alors que les ambitions militaires et navales dans la région sont exacerbées. Comment défendre la souveraineté française dans ces territoires face au nombre très important de sous-marins dans cet océan ? Nous faut-il des sous-marins ou des navires disposant de moyens de lutte anti-sous-marine ?

Les territoires français du Pacifique sont protégés naturellement par l’immense étendue d’eau qui les sépare des lieux de tension actuels, situés principalement sur la rive occidentale du Pacifique. Seule la Nouvelle-Calédonie se trouve relativement proche de l’arc mélanésien des crises mais celui-ci bénéficie d’une relative stabilité depuis le début du siècle, la dernière crise, aux Fidji, est en voie de règlement, la situation en Nouvelle-Guinée apparaît sous contrôle, pour le moment. En fait les menaces sur ces territoires concernent la souveraineté : lutte contre les activités criminelles (trafic de drogue, contrefaçon, blanchiment d’argent,…), préservation des ressources (pêche illicite, recherches scientifiques, en particulier minières non autorisées,…). 

Toute autre est la situation des ressortissants français, de plus en plus nombreux, qui vivent en Asie, répartis depuis la Malaisie et l’Australie, au Sud jusqu’en Chine et au Japon au Nord. La sécurité de ces expatries, les activités économiques dans lesquelles ils sont impliques, sont menacées par les rivalités qui se développent le long des cotes occidentales du Pacifique : piraterie toujours endémique dans le détroit de Malacca et l’archipel indonésien, disputes de souveraineté en Mer de Chine méridionale, en mer du Japon et jusqu’aux îles Sakhaline. L’attitude de plus en plus revendicative de la Chine sur des zones extrêmement vastes se traduit par une intense activité navale et une série d’incidents fréquents. Chacun de ces incidents risquant de dégénérer dans un contexte marque par le souci de préserver la face dans une région où le souvenir des atrocités du second conflit mondial, voire de conflits plus anciens est entretenu par des courants nationalistes puissants.

Cette région du monde est celle où les pays ont le plus accru leurs dépenses de défense, développant en particulier leur puissance navale. La Chine a entrepris un grand programme de construction afin de se doter d’un instrument de puissance navale à la hauteur de ses ambitions politiques et de sa puissance économique. Elle affiche ainsi sons ambition de se placer dans la région a un niveau de puissance comparable a celui des Etats-Unis d’Amérique. La Chine a en effet l’ambition de se substituer aux Etats-Unis comme garant  de la sécurité dans la région. Cette ambition n’est pas partagée et c’est pourquoi le Japon et la Corée du Sud mais aussi la Malaisie, Singapour et le Vietnam se dotent de moyens navals importants, en particulier de sous-marins. Etat du Pacifique, toujours impliquée en Corée car membre de la commission d’armistice, la France doit être en mesure d’apprécier la situation navale dans la zone, elle le fait avec les frégates pré-positionnées a Nouméa et à Papeete mais le passage de la mission Jeanne d’Arc avec le BPC Dixmude et la frégate Aconit est une excellente occasion de montrer le pavillon, d’actualiser les informations sur cette zone d’opérations navales de la plus haute importance pour l’économie de notre pays.

Vous avez pu souligner dans vos propos la place importance tenue par la diplomatie humanitaire dans les missions des forces armées françaises dans le Pacifique, les moyens lourds (CN-235, P400, BATRAL, Guardian) étant concentrés en Nouvelle-Calédonie. Le comité directeur de la fonction garde-côtes n'aurait-il pas son utilité pour devenir le lieu de réflexions et de conceptualisation sur la cohérence entre les capacités des navires et des avions au regard des forces terrestres à engager pour ces missions ?

C’est effectivement au comité directeur de la fonction garde-côtes, instauré par le décret du 22 juillet 2010 qu’il appartient de définir les politiques conduites au titre de la fonction garde-côtes et d’identifier des priorités d’action. Mais les recommandations de ce comité, réuni sous l’autorité du secrétaire général de la mer doivent être validées en comité interministériel pour la mer (CiMer). Au quotidien, c’est le centre opérationnel de a fonction garde-côtes qui mutualise les informations et participe ainsi à l’utilisation coordonnée des moyens. En Polynésie (cet archipel représente à lui seul plus de la moitié du domaine maritime national), un centre maritime commun a été créé pour permettre une utilisation mutualisée des moyens réduits de chaque administration.

La politique et les moyens nécessaires ont été parfaitement définis. Ce qui manque ce sont les moyens, bâtiments et aéronefs car les équipements actuels.

Le ministère de la Défense demeure le principal contributeur, soutenu par l’Intérieur et les Finances (Douanes). Les moyens ont été clairement identifiés : deux hélicoptères de service public Dauphin complètent les Guardian de la Marine, eux-mêmes parfois remplacés par les avions de transport tactique Casa CN-235 de l’armée de l’Air. Sur mer, l’arrivée du premier bâtiment multi-missions (B2M) est prévue pour 2016 à Nouméa et sans doute en 2018 à Papeete pour remplacer respectivement les P400 et le patrouilleur Arago, un bâtiment de soutien et d’assistance hauturier (BSAH) devrait compléter les moyens navals en Polynésie mais après de multiples travaux préliminaires un nouvel appel d’offres a été lance le 18 avril 2014 et le premier BSAH n’est pas attendu avant 2016.  Le Revi devra être prolongé jusque là.

Le remplacement des patrouilleurs par les BATSIMAR est espéré pour 2024 avec la livraison des deux premières unités. Face à l'importance des flottes sous-marines et de surface dans le Pacifique, la diplomatie navale française peut-elle être encore crédible avec de simples patrouilleurs quand les frégates de surveillance (Vendémiaire et Prairial), pourtant armées, n'impressionnent pas ou plus dans la région ?

Aucun des bâtiments que vous citez n’est un bâtiment de premier rang capable d’opérations navales contre d’autres bâtiments de guerre même si les frégates de surveillance ont des capacités significatives en lutte antisurface, suffisantes pour naviguer dans des zones où sévit la piraterie ou pour s’attaquer à des marines composées de patrouilleurs. Ces frégates n’ont en effet aucune capacité anti-sous-marine et de très faibles capacités anti-aériennes. Il faudrait donc faire appel à des moyens de métropole. Ce n’est pas impossible : souvenons-nous que lors des essais nucléaires atmosphériques dans le Pacifique, la moitié de la flotte française d’alors avait été déployée dans le Pacifique, y compris le porte-avions Clemenceau, basé un temps a Papeete. Depuis, le SNA Rubis a fait escale à Nouméa et à Papeete. Comme le porte-avions et les autres bâtiments de surface, les sous-marins nucléaires français peuvent être déployés dans le Pacifique. C’est l’immense avantage d’une marine hauturière expérimentée dotée d’un réseau de points d’appui mondial.

Ce sont bien ces moyens là et eux seuls qui peuvent impressionner dans la région. D’où l’importance de la mission Jeanne d’Arc cette année dans le Pacifique.

Dans les années 80 du XXe siècle, l'île de Clipperton était sujet à études sur sa pertinence comme base océanique. Entre la redistribution des flux maritimes mondiaux qui suivent le glissement du pivot de l'économie mondiale de l'Atlantique au Pacifique et l'agrandissement du canal de Panama plus l'ouverture potentielle d'un second canal au Nicaragua, que dire sur l'importance de cette île que le Mexique nous dispute ?

Cette île ne nous est plus disputée par le Mexique, nos diplomates ayant pu établir un accord avec le Mexique qui préserve notre souveraineté et ménage les intérêts des pêcheurs mexicains. Pour autant, cette île, qui n’est qu’un atoll de 8,9km2 émergeant de quelques mètres au-dessus des flots. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains y avaient aménagé un terrain d’aviation sommaire dont il ne reste rien. Le lagon central est isolé de l’océan. Aménager cet atoll représenterait une tache considérable que rien ne justifie aujourd’hui même si sa position géographique le place sur la route de Panama vers la Corée du Sud. La France s’efforce donc de préserver le patrimoine halieutique que constitue Clipperton : y surveiller la pêche, prévenir l’installation de criminels (trafic de drogue), empêcher l’exploitation sans accord national des fonds marins (riches en nodules polymétalliques), étudier et protéger la faune et la flore. Le lagon fermé, très profond, est un espace très particulier dont l’exploration a à peine commencé.

Faut-il constituer un grand commandement stratégique allant de l'océan Indien à l'océan Pacifique pour entretenir nos actions, notamment pour la préservation de la liberté de navigation ?

Les opérations maritimes de l’océan Indien et de l’océan Pacifique  sont essentiellement coordonnées par les commandements interarmées de l‘océan Indien (Abu Dhabi – EAU) et de l’océan Pacifique (Papeete). Le nombre restreint de formations (bâtiments, aéronefs, éléments terrestres) qu’ils mettent en œuvre ne justifie pas la constitution d’un grand commandement stratégique. Sous l’autorité du chef d’état-major des armées, ces commandants assurent efficacement le contrôle opérationnel des forces déployées ou stationnées dans ces océans. En océan Indien et dans le détroit de Malacca, au-delà, en mer de Chine méridionale, grâce à la coopération des marines alliées ou amies, il est possible d’informer les navires de commerce sous pavillon français des risques qu’ils encourent et, éventuellement, de les protéger. Ainsi, la France participe à l’Intelligence Fusion Centre de Singapour qui coordonne la surveillance des navires dans le détroit de Malacca et dans le Sud de la mer de Chine méridionale.

Pourriez-vous nous dire ce qui a retenu le plus votre attention dans la montée en puissance des flottes asiatiques : la rapidité du phénomène ? L'importance du tonnage, du nombre d'armes par bateau ? Les problématiques aéronavales, sous-marines ?

C’est incontestablement la vitesse avec laquelle le monde maritime asiatique, fort d’une longue tradition maritime entretenue par des flottilles de pêche considérables, soutenu par une tradition commerciale millénaire et par une industrie sans cesse plus performante a pu développer en quelques décennies de très belles marines comme celles du Japon, de Corée du Sud, de Singapour, de Chine.  Les trois premières n’ont pas grand chose à envier aux marines occidentales. Longtemps limitées aux abords de leurs pays, elles se sont depuis habituées à naviguer de plus en plus loin de leurs bases (c’est aussi vrai pour la Chine) en participant à la lutte contre la piraterie en océan Indien.  Longtemps sous-marinier, je suis très intéressé par le développement des forces sous-marines dans cette partie du monde au profit d’une stratégie de déni d’accès des petites marines contre les plus puissantes, dans une zone où le libre passage des navires de commerce est essentiel à la bonne marche de l’économie mondiale, de notre économie.

Beaucoup de ces flottes mettent en œuvre des navires brise-glace ou à capacité polaire. Que dire de nos propres activités polaires quand, d'une part, l'activité de la Marine nationale s'accroît dans l'Atlantique Nord, et d'autre part que l'Astrolabe et l'Albatros seront remplacés par un seul navire et que la succession des Marion Dufresne II, Malabar et Tenace n'est pas ouverte ? 

L’océan Arctique est le seul océan où la France ne dispose pas de zone économique exclusive. Elle doit aux talents de ses explorateurs, en particulier du Professeur Charcot ou de Paul-Emile Victor d’avoir un statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. Par contre, la France possède des terres en Antarctique  et y conduit des opérations scientifiques.

Une centaine d’équipes scientifiques participe chaque année à cette activité scientifique. L’Institut Paul Emile Victor  dispose en propre d’un navire, le Marion Dufresne et  de deux autres affrétés (l’Astrolabe et la Curieuse). Avec le prochain désarmement de l’Albatros, patrouilleur spécialisé de la marine nationale, la seule solution passe par l’affrètement.

Vous êtes l'auteur avec Philippe Nôtre de « L'abécédaire des forces sous-marines » (chez Decoopman éditions, paru en 2014). Que vous inspire la mise à l'eau prochaine du Suffren, la perspective du SN3G ? 

Beaucoup de fierté : la France est un des seuls pays à pouvoir construire seul des sous-marins nucléaires très performants. Nos camarades britanniques ont dû faire appel aux Américains pour  construire leurs sous-marins nucléaires. Ce n’est pas infamant mais cela montre simplement que le savoir faire dans la construction de sous-marins nucléaires est aussi un enjeu de souveraineté.

Une certaine sérénité aussi : en cette époque où Monsieur Poutine menace les frontières orientales de l’Europe et Monsieur Kim Jong-un  la Corée du Sud et le Japon, il n’est pas inutile de rappeler que la France est une puissance nucléaire capable de frapper partout dans le monde, avec ses sous-marins ou les avions du porte-avions.  En pleine crise ukrainienne, le discours du Président de la République sur la dissuasion, le jeudi 19 février 2015, a sans doute rappelé à Monsieur Poutine qu’il n’est pas le seul à disposer d’armes nucléaires, en toute souveraineté.

Amiral, avec tous les lecteurs de ce blog, nous vous remercions d'avoir bien voulu prendre le temps pour nous faire part de vos réflexions à travers cet entretien !

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